Mis à part la première centaine de kilomètre parmi les éoliennes et les villages perdus dans le désert, la route de cette journée n’a pas eu grand chose d’agréable. Nous avons circulé un bon moment sur une chaussée défoncée, puis par la suite sur l’autoroute. Bref, rien de trop plaisant.
Aux abords de Jodhpur, la circulation s’est densifiée et les directions à prendre se sont complexifiées, il nous a donc fallu faire de multiples arrêts pour regarder la carte. Or, s’immobiliser en bord de route en Inde attire dangereusement l’attention. Curieux et voulant bien faire, plusieurs Indiens vous aborderons invariablement pour vous demander le lot de questions classique (pays, nom, état marital, etc.), prendre un ou deux selfies et pour tenter de vous aider (sans même savoir ou vous allez précisément). C’est marrant, mais ça l’use la patience à la longue.
Arrivé dans Jodhpur, c’était l’heure de pointe et probablement la plus grande densité de trafic auquel Audrey et moi avons été exposés jusqu’à maintenant. Heureusement qu’il y a eu une progression, car en tout début de voyage, elle aurait peiné un peu. Plus de 1000 kilomètres à moto plus tard, cela s’est fait dans aucune difficulté.
Jaisalmer, surnommée la Golden city (ville dorée, vous le constaterez sur les photos) est un incontournable du Rajasthan. Réputée pour son magnifique fort et ses balades à dos de chameaux dans le désert, nous comptions définitivement passer notre tour pour cette deuxième activité. Disons que notre petit tour de la veille, parmi les dunes avait achevé le peu d’intérêt que nous avions envers l’expérience. Si un jour j’ai à me rendre à quelque part et que le moyen le plus pratique d’y aller est le chameau, j’en chevaucherai un avec toute l’excitation du monde. Débourser des roupies pour peser sur le dos d’une pauvre bête traînée de force par un chamelier, le tout dans un environnement complètement factice, bof. Je n’ai pas de difficulté à me justifier moralement l’exploitation du chameau comme moyen de transport ou comme bête de somme; comme manège, si. De cette manière ou d’une autre, ils assistent quand même leur propriétaire à gagner sa vie et ainsi à pourvoir à ses besoins, mais le hic, c’est qu’il existe d’autres alternatives économiques. D’autant plus qu’un chameau de transport appartenant à une petite famille paysanne a bien plus de chances d’être correctement traité qu’un propriété d’un opérateur de tourisme et destiné à promener des badauds et générer du revenu.
Le lendemain de notre arrivée à Jaisalmer tombait sur la fameuse fête de Holi, célébration nationale de la venue du printemps, du renouveau et de l’amitié. La veille, des feux de joie sont allumés et le jour même, toute la population se retrouve dans la rue armée de sacs pigments de couleurs pour un grand rassemblement dont le concept est de se badigeonner mutuellement de ces couleurs tout en se faisant des accolades et en se souhaitant joyeuse Holi. Pour cette raison, Holi est plus connue dans l’Occident comme la fête des couleurs. Ce jour là donc aucun moyen de sortir de chez soi sans s’y coller. Pour les demoiselles, c’est un peu embêtant, car les Indiens, déjà souvent trop avenants avec les dames, ont la réputation d’y aller encore plus fort dans les attouchements lors du Holi (alcool aidant). Il se donne d’énormes fêtes à plusieurs milliers dans certaines villes indiennes, celle de Jaisalmer allait être plus tranquille et pour cette raison, c’était tant mieux. D’ailleurs, le fait que nous n’avons croisé pratiquement aucune indienne en dit long…
Nos deux amis sont venus nous rejoindre à notre auberge (déjà pleins de couleurs) et aussitôt sortis, il n’a pas fallu deux minutes qu’un groupe d’Indiens nous ont abordé les mains chargées de pigments. Du rouge, du vert, du rose, du bleu, du jaune, au fil de l’après-midi nous avons serrées d’innombrables mains, embrassés nombre de gens et nous sommes prêtés à maints selfies. Niveau attouchements, le niveau est resté relativement acceptable (selon les deux filles du groupe) Les rues du vieux Jaisalmer, d’habitude très fréquentées par les étrangers, avaient été rendues aux indiens pour l’occasion; quasiment aucun touriste sauf nous. La ville dorée avait définitivement prise des teintes arc-en-ciel. Lors de notre passage dans le fort, les résidents étaient même déjà affairés à nettoyer les environs de leurs entrées. Pour notre part, il nous a fallu à tous au bas mot une demi-heure de douche pour laver nos corps et vêtements. J’avais porté de vieux vêtements pour l’occasion afin de me prêter au jeu le plus possible. Pour être franc, j’ai quand même apprécié le moment.
En soirée, nous nous sommes tous retrouvés pour le repas. Après le restaurant, l’une de nos amis n’était pas partante pour aller prendre un verre à l’auberge et nous a faussé compagnie pour rejoindre son hôtel, situé à une vingtaine de minutes de marche. Un peu moins d’une demi-heure plus tard, nous la revoyons monter les marches menant au toit de notre auberge, les yeux en larmes et le tremolo dans la voix. Audrey, la questionne aussitôt sur sa présence et celle-ci répond qu’elle s’est fait mordre par un chien. Elle me montre les dégâts, mais heureusement la morsure est généralement superficielle, sauf un croc qui est parvenu à percer la chair. Là n’était pas le principal problème par contre, ce qu’il fallait redouter, c’était la rage. J’ai donc instruit Audrey d’aller aider la victime à nettoyer sa plaie avec du savon, puis suis aller voir le gérant de l’auberge afin qu’il nous dirige vers un hôpital, car le premier vaccin devait être donné aussitôt que possible.
À cet heure, seul l’hôpital gouvernemental était encore ouvert et le gérant s’est généreusement offert de nous y conduire. La procédure d’enregistrement consistait à se présenter à une guérite, payer 10 roupies, recevoir un papier (en Hindi) puis aller faire la queue devant le bureau du médecin. À cette heure et considérant la fête de Holi, je me serais attendu à une longue attente, mais il n’a fallu que quelques minutes avant que nous soyons vus par le médecin. Sans poser de questions, il a regardé le site de la morsure et rédigé une prescription. Malheureusement, la pharmacie était fermée alors il allait falloir qu’elle repasse demain matin pour sa première injection. Cependant, elle allait pouvoir recevoir ses antibiotiques, sa crème anti-septique et son vaccin contre le tétanos (gratuit!). La salle où étaient dispensées les injections avait peu à envier aux pires films d’horreur. Les lits étaient explosés, les murs en ruine, un mec (l’infirmier) sale bidouillait sur son téléphone et dans un coin, quelques poubelles débordant de seringues et de compresses usagées. Heureusement, la seringue était stérile; la technique d’injection, pas trop mais bon… En allant reconduire la victime à son hôtel, j’ai tout de même pris le temps de poser le questions que le médecin n’a pas daigné de lui demander: quels médicaments prenait-elle? avait-elle des allergies? des conditions médicales existantes? En fin de compte, elle était allergique à la pénicilline, alors je l’ai instruire de ne pas prendre son anti-biotique sans que j’aie au préalable confirmé avec des sources compétentes si elle pouvait le faire. Cette visite dans un hôpital indien avait tout même été intéressante. J’ai été content de voir que les soins y étaient complètement gratuits, mais la qualité du service et la salubrité de l’endroit a suffit a expliquer pourquoi l’Inde possède un système a deux vitesses.
Initialement, nous comptions ne passer que deux nuits à Jaisalmer, mais en raison de la fête de Holi, nous n’avions pas pu visiter quoi que ce soit. Nous avons donc rallongé notre séjour pour mieux explorer la ville dorée. En débutant par le fort et en terminant pas les petites rues à l’extérieur de son enceinte, nous avons pu constater à quel point Jaisalmer était une ville élégante avec toutes ses maisons de pierre travaillée, ses ruelles, ses petites scènes quotidiennes et sont caractère bien Rajasthanien. Cette soirée là, nous l’avons passé devant nos ordinateurs. En sortant dehors vers minuit, c’est la pluie qui nous a surpris (en cette saison [et en plein désert]). Et dire que nos deux amis québécois était en ce moment en train de dormir à la belle étoile après leur journée de chameau…
Toute petite journée d’une centaine de kilomètres avant d’arriver à Jaisalmer, surnommée la Golden City. Pas grand chose à rapporter si ce n’est que la trouvaille d’un magnifique monument près de notre point de départ. Outre son nom de cénotaphe royal, aucune information sur le lieu, qui d’ailleurs était laissé à l’abandon. Apparemment, les familles royales du Rajasthan se sont construites nombres de ces monuments pour honorer la mémoire des leurs. J’ai lui ai consacré un petit article Wikipedia histoire d’immortaliser l’endroit.
Du reste, nous nous sommes rendus sans embûches à Jaisalmer, notre destination la plus à l’ouest du Rajasthan. En plus, il nous restait quelques heures de la journée pour aller explorer les dunes de sable non loin. De retour sur la moto, nous sommes arrêtés à la sortie de la ville dans un petit resto de bord de route afin de tenter de retrouver l’excellente cuisine dégustée la veille. Échec, il a fallu 1h15 pour être servi et le repas s’est avéré très décevant. La route jusqu’aux dunes, en très bon état, s’est complétée en un temps record. Arrivés sur place par contre, nous avons pu constater avec amusement à quel point l’endroit était devenu un parc d’attraction. Les dunes étaient minuscules, des centaines de chameaux poireautaient sur le bord de la route et de l’autre côté des immenses complexes de tentes (certaines climatisées) qu’on essayait de faire passer pour du “camping dans le désert”. En traversant ce cirque à moto, on a tenter de nous haranguer plusieurs fois, se jetant même devant nos motos. C’était vain, car nous sommes passés maîtres dans l’évitement d’animaux sur la route.
Passé ce bordel, nous avons poursuivi la route pour tenter de trouver une dune un peu plus tranquille, mais sans succès. En revenant sur nos pas, nous avons effectués un court arrêt le plus loin possible de la cohue pour marcher un peu dans la dune, mais il n’a fallu que quelques secondes avant que nous soyons repérés et que quelques Indiens courent vers nous pour tenter de nous vendre un tour de chameau. Le chemin du retour, de toute beauté car sous le soleil couchant, nous a ramené jusqu’à Jaisalmer à la noirceur. Un peu plus tard, nous avons retrouvé un autre Québécois rencontré à Udaipur pour une repas puis un verre. Pause de moto pour les deux prochains jours.
Dès la planification de notre aventure à moto, j’avais identifié ce tronçon de route longeant la frontière pakistanaise et qui évitait l’autoroute Bikaner – Jaisalmer. Vue l’éloignement de l’endroit, la qualité de la chaussée était hautement incertaine, mais nous allions tout de même tenter notre chance, quitte à rebrousser chemin. Bikaner derrière, nous avons bifurqué sur cette route mineure, un peu défoncée par endroit, mais somme toute acceptable. Arrêtés sur le bord de la route afin de confirmer notre position sur le GPS, des Indiens s’arrêtent pour des selfies et nous questionnent évidemment sur notre destination. Oui, nous allions à Jaisalmer, mais impossible de leur faire comprendre que nous tenions à emprunter cette route et non l’autoroute…
Petits villages de maisons de terre cuite après petit village, le paysage déjà désertique est progressivement devenu plus aride. À l’approche de l’embranchement pour ladite route, le décor est redevenu vert; curieux. En fait, la région était quadrillée de canaux d’irrigation qui permettaient à la petite paysannerie locale d’y cultiver une subsistance. Pourquoi en plein milieu du désert et si loin de tout? Probablement en raison de la proximité avec le Pakistan. Vu l’importance stratégique de la région, le gouvernement indien l’a peuplée de manière à y asseoir sa souveraineté et ainsi établir un coussin de zones habitées entre son ennemi (les deux pays ne s’entendent vraiment pas bien). À cet effet, j’avais aussi émis l’hypothèse que malgré l’éloignement, la route allait être bien entretenue. Je ne m’étais trompé, plusieurs panneaux indiquaient comme quoi c’était l’armée qui était en charge de la voirie dans les parages.
À notre plus grand bonheur donc, la route était parfaite, vide et bucolique. Parfois, nous pouvions y circuler une bonne dizaine de minutes sans croiser âme qui vive. Les gens, extrêmement curieux de notre improbable présence dans leur région, ne manquaient pas de nous dévisager à chaque passage. Nous avons aussi pu y déguster le meilleur repas (selon moi) mangé jusqu’à ce jour en Inde. Des rotis cuits devant nous au feu de bois, un curry de plante succulente locale (ker sangri), un autre de tomates et d’oignons, le tout servi avec un bouillon à base de yogourt de chèvre (probablement du gatta curry). Alors que nous en étions arriver à l’intersection où il nous fallait rejoindre l’autoroute, la police nous intercepte à un barrage et nous informe qu’il nous fallait un permis pour circuler dans cette région frontalière (fréquent en Inde). Ces derniers nous indiquent ensuite de prendre le chemin vers lequel nous nous dirigions de toute manière.
Il nous a quand même fallu plus d’une heure pour rejoindre l’autoroute. Autour de nous, les ombres s’étiraient et le paysage aride prenait graduellement ses couleurs dorées du coucher de soleil. Pour en avoir été témoin à de nombreuses reprises, c’est vraiment à la lumière tombante que le désert prend toute sa beauté. Une fois sur l’autoroute, nous nous sommes arrêtés pour la nuit dans un hôtel en bordure, content que notre petite excursion se soit si bien déroulée. Une journée de moto parfaite.
La journée qui s’annonçait allait être des plus faciles, quoique j’avais quelques craintes face à la route que nous nous apprêtions à prendre, soit une autoroute 2 voies et le lien majeur entre Bikaner, 2e ville de l’état et Jaipur, la capitale. Tout compte fait, la circulation n’était vraiment pas si dense. Tranquillement, profitant du paysage, nous nous sommes rendus à destination sans encombres, croisant encore et encore de petites bourgades indiennes (et des plus grosses). Fait d’importance, le grand retour des chameaux dans la faune domestique.
Une fois a Bikaner, il nous restait suffisamment de temps pour faire un tour de la ville. C’est par le fort/palais que nous avons débuté, car c’était l’attraction principale de la ville. Sans en visiter l’intérieur, nous en avons tout de même fait un bon tour d’extérieur. Par la suite, c’est vers la vielle ville que nous avons poursuivi. L’heure de pointe battait son plein, car la circulation était absolument intense. Après nous être promenés une petite heure dans ce capharnaüm, le temps était venu de retourner à l’auberge, sauf que nous allions le faire par les petites rues de la vielle Bikaner.
Déjà depuis notre arrivée les citadins s’étaient montrés plus avenants dans leurs hellos que la moyenne indienne. Parmi les petites ruelles, on a atteint des records, surtout de la part des enfants, qui à quelques reprises s’accrochaient littéralement à nous pour nous faire la discussion. Devant notre réticence à jouer, on en est même venu à nous lancer des ordures et aux insultes. Drôle de progression quand même. Les adultes sont quant à eux restés très respectueux. Cela n’a pas empêché de rendre l’aventure éreintante. Un hello et un peu de conversation, ça va. À chaque trente secondes (je n’exagère même pas), ça pompe l’énergie.
Devant une bière dans un bar, nous avons pu nous remettre de nos émotions sans pour autant cesser d’être le centre de l’attention. J’ai maintenant beaucoup de compassion pour les gens célèbres. Du reste, Bikaner était quand même plutôt intéressante – sa vielle ville, un vrai dédale de rues que nous aurions aimé explorer davantage (de jour, pendant que les enfants sont à l’école); peut-être flâner dans ses nombreux parcs, admirer ses monuments… Le propriétaire de notre auberge était déçu de nous voir repartir après une seule nuit. Seulement, la fête d’Holi approchait (le plus gros festival de l’Inde) et nous avions donné rendez-vous à deux autres Québécois à Jaisalmer pour la passer avec eux. Malheureusement, il allait nous falloir deux jours pour nous y rendre de Bikaner.