La Tunisie

Note: cette publication relate un séjour fait entre août et novembre 2019.

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En apprenant que le programme de médecine offrant la possibilité d’aller passer trois mois à l’étranger pour y faire des stages, je n’ai pas pu m’empêcher de postuler. Après tout, quel meilleur moyen de voyager que de travailler et vivre ailleurs? Certes, vagabonder en voiture/sac à dos offre son lot de découvertes et de défis, mais deux jours par ville ne laissent guère le temps de découvrir une société dans toute sa profondeur et sa complexité.

Médina de TunisLe profil international me donnait l’option entre divers pays européens (d’emblée éliminés car potentiellement trop similaires au Canada dans leurs standards de pratiques) le Pérou, la Tunisie et Madagascar. Mon premier choix a été le Pérou histoire de redonner un coup de poli sur un espagnol terni par les années, le deuxième, la Tunisie. J’appris que les deux places au Pérou avaient été d’office données à deux étudiants s’étant fortement impliqués dans le profil international. Ce fut donc l’Afrique du Nord.

Au programme, un stage à l’urgence, en chirurgie générale et finalement la médecine interne.

Panorama de Tunis

Tunis

Arrivée

IMG_7746Histoire de faire un peu de tourisme avant de commencer les stages, j’ai choisi de m’installer dans la médina de Tunis. Ayant pu l’arpenter de long en large à toutes heures du jour et du soir, je dois avouer qu’elle mérite toutes les louanges du Guide du Routard, du patrimoine mondial de l’UNESCO et même plus. Quelques allées ont définitivement une saveur boutique de souvenir, mais la plus grande superficie de cette incroyable dédale de rue a tout d’un authentique lieu de vie, et il a fait bon s’y perdre.

Depuis le Canada, j’avais pendant quelques heures tenté de me trouver un appartement sur les internets histoire de me sécuriser un lieu de vie avant mon arrivée, mais sans succès. On allait voir une fois sur place. Comme de fait, en cherchant non loin de l’hôpital un lieu où passer les prochains mois, une tunisienne m’arrête et me questionne sur la raison de ma présence dans ce quartier. Je lui déballe mon histoire et sans me demander d’autres informations elle m’offre aussitôt son appartement. Elle vit en Suisse et s’apprête à y retourner; lorsqu’elle s’absente, son appartement est vacant. Il se situe à environ 40 minutes de marche de l’hôpital, ce qui était dans le rayon que je m’étais donné. Elle m’y amène et au terme de la visite me demande combien je veux payer. 500 dinars (~230$) par mois dis-je un peu au hasard et à ma grande surprise elle accepte. J’apprendrai plus tard que l’endroit valait au bas mot deux fois plus…

La vue de mon appartement
La vue de mon appartement
La vue de mon appartement
Et au coucher du soleil…

Une porte à Sidi-Bou-SaidLe tout petit hic, c’est que j’allais devoir vivre pendant deux petites semaines dans sa villa … en rénovation. Bof, l’endroit était à deux pas et j’allais avoir une chambre fermée à clé. De plus, les lieux étaient habités en quasi permanence par Ali, son gardien de chantier et un homme des plus pieux à en juger par radio-Coran qui jouait à tue tête en permanence.

Installé

Content d’avoir bouclé la question du logement en quelques jours, j’ai pu profiter de mes journées de congé pour visiter Tunis. Avide marcheur, j’ai parcouru à pied une énorme portion de la ville. Le centre ville colonial a une saveur définitivement française (en un peu plus délabré), les quartiers populaires sont décidément arabes et les quartiers riches … sont riches.

Hommes assis prenant un café
Prendre le café, un sport national

En somme, c’est vraiment la médina qui vaut le détour.  Du reste, ce sont principalement des dédales de rues ceinturées de grands boulevards. Les commerces se ressemblent tous (cafés, sandwicheries/pizzerias) et il y a une quasi absence de vie de trottoir. En la parcourant, l’on réalise rapidement que la Tunis moderne n’a guère plus d’attraits qu’une banlieue occidentale: aseptisée et uniformisée.

Pas surprenant donc qu’on suggère aux touristes de ne pas trop s’y attarder.  En ce qui me concerne, j’y ai passé suffisamment de temps pour m’approprier l’endroit et me construire un réseau de petites places que j’aimait visiter régulièrement pour un café, un verre ou un moment de balade. J’ai pour dire que lorsque plusieurs millions d’être humains se regroupent dans une zone pour y vivre (sur une base permanente…), il doit bien y avoir quelques trucs à faire.

Marché à Tunis

Le reste de la Tunisie

Escaliers à TabarkaJ’aurais somme toute peu vu de la Tunisie pour y avoir passé trois mois; de lourdes semaines de travail avec parfois pour seul congé le dimanche m’ont lassé peu de temps pour aller explorer le territoire.

Tout de même, j’ai été en mesure d’aller passer une petite fin de semaine à Tabarka, ville de l’ouest non loin de la frontière algérienne connue pour sa charmante côte et son ambiance de villégiature. Le tourisme ayant pris la plonge depuis la révolution, Tabarka ne semble plus être aussi active qu’elle n’a pu l’être dans le passé. N’empêche, j’aurais pu y faire un peu de plongée et me prélasser un brin dans un quatre-étoiles qui ne m’aura côté qu’un petit 50$ par nuit.

Deux femmes au fort de Tabarka

Mausolée d’Habib BourguibaÉgalement, j’ai pu aller visiter Sousse pour un accès plus direct au bord de mer et une belle balade dans sa médina. Sousse semblait avoir été avant l’effondrement du tourisme européen une destination très prisée. Aujourd’hui, la moitié des hotels sont abandonnés et le reste d’entre eux sont fréquentés par des cars entiers de russes. Là encore, j’ai pu aller plonger dans la ville d’à côté. L’équipage du bateau a été fort sympathique, mais les plongées tout à fait pourries du fait de clients trop débutants. Sorti de l’eau, je suis passé par le mausolée d’Habib Bourguiba, richement décoré et aux allures de mosquée puis ait regagné Tunis par un louage, sorte de minibus bon marché peu confortable mais peu onéreux également.

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J’ai aussi pu mettre les pieds à Bizerte, car seulement à 1h de louage de Tunis. Dernier bastion français post révolution, l’envahisseur européen l’a désertée aux prix de combats qui encore aujourd’hui font la fierté du peuple tunisien. Ils n’auront laissé qu’une belle architecture, un sympathique port et une ambiance qui a tout pour plaire et faire oublier la frénésie de la capitale.

Port de Bizerte

Vers la fin du séjour, mes parents et ma copine sont venu me rejoindre. Eux s’étaient donnés deux bonnes semaines et je me suis arrangé pour faire concorder un stage à Tozeur dans le sud pays avec leur trajet. Ce stage n’était pas officiel, mais un chirurgien avec qui je me suis lié d’amitié m’y a invité pour aller opérer. L’hôpital régional de cette petite ville aux abord du désert est en découverture de spécialistes, alors le ministère de la santé y envoie des médecins de la capitale en rotations d’une semaine. Tozeur est connue pour son oasis de dattiers et Tatooine. En effet, c’est là que plusieurs scènes des films Star Wars ont été tournées. Du reste, mes parents, ma copine et moi nous sommes baladés dans le paysage, profitant des dunes, des palmiers et du chott, grande étendue de sel qui quelques semaines par année se remplie d’eau. Aux abords de la route le traversant, nous avons remarqué que certaines dépressions étaient encore bien submergées. Je ne me suis pas fait prier pour enfiler mon maillot de bain et y sauter pour un effet des plus satisfaisants (comme dans la mer morte). Saturée de sel, l’eau est si dense qu’il est possible sans efforts de flotter les bras et les jambes au sec.

Bus abandonné dans le désert

En chirurgieQuestion chirurgie, l’équipe de l’hôpital a été dans plus accueillante, enchantée de rencontrer un visiteur étranger dans leur petit coin de pays. Sur deux jours, j’ai pu être premier assistant durant de belles procédures.

 

Chameaux

Les stages et le système de santé tunisien

Sans grande surprise, le système de santé tunisien est calqué sur le système français, tant dans sa gestion que dans la formation de son personnel. Le rôle des étudiants en médecine y est notamment très effacé et académique, contrairement au Canada, où nous sommes largement intégrés aux équipes. Un externe en médecine n’a certes pas le même niveau de responsabilité qu’un résident ou patron, mais ceci en retour nous libère temps et énergie pour être à l’écoute des patients qui nous sont attitrés, nous adonner à des tâches plus administratives et finalement jouer un rôle de surveillance auprès des malades. À ce titre, nombre de mes patients auront cru jusqu’à leur congé que j’étais en fait leur médecin (mon âge contribuant à cette impression il faut dire…), car parmi l’équipe médicale, j’étais le visage qui passait une heure chaque jour pour prêter oreille à leurs plaintes, leurs doléances, répondre à leurs interrogations concernant leur soucis de santé et les tenant informé de ce que l’équipe décidait pour eux.

En Tunisie, les étudiants passent la matinée dans la spécialité qu’ils étudient l’après-midi à l’université, ce qui au mois a comme effet de donner une touche concrète au théorique. La tournée du matin est dirigée par le grand professeur, qui passe chaque patient du service en revue et en profite pour questionner à outrance ses résidents et ses étudiants, usant souvent de cette fameuse pédagogie par l’humiliation lorsque les réponses données ne lui conviennent pas. Le pauvre patient affaissé dans sont lit doit bien se sentir comme un cobaye. On le manipule et le pointe du doigt et de surcroît la tournée est faite en français, langue de la classe éduquée tunisienne, mais qui n’est que très superficiellement comprise par la population générale. Cette entreprise prendra le plus clair de la matinée, ce qui ne laissera aux pauvres étudiants guère l’occasion d’aller écouter et examiner un malade pour réfléchir sur la meilleure manière de le soigner.

L’éducation académique tunisienne est excellente et j’ai été plus d’une fois impressionné à quel point mes collèges étaient savants et me déclassaient complètement au plan théorique. Quand venait le temps d’examiner et agir par contre, j’étais d’un niveau largement supérieur. Ainsi, les médecins du service s’en sont rapidement rendu compte et m’ont laissé me distancer du rôle d’étudiant pour prendre davantage part aux activités cliniques du service.  Ils étaient pour la majorité bien au courant des ratées du système français, qui sert plus des objectifs académiques que les patients. Plusieurs d’entre eux d’évertuaient d’ailleurs à faire évoluer la manière dont la médecine s’enseigne dans leur pays.

Or des forces traditionalistes s’opposent au changement, provenant principalement du corps professoral et des hautes instances académiques. Grands professeurs qui d’ailleurs semblaient très peu impliqués sur le terrain et qui aux dires de beaucoup passaient la majeure partie de la semaine en clinique privée, où leurs grands titres académiques leur apporte prestige et clientèle.

Car le succès comme médecin tunisien passe maintenant par la pratique privée. Autrefois le meilleur système de santé publique de l’Afrique, la chute de la dictature, l’écroulement de l’économie qui a suivit et un syndicalisme abusif ont eu raison de la qualité des soins de santé dans le pays. Le matériel manque, les infrastructures tombent en ruine et le personnel infirmier, largement dépassé et en manque d’effectif, semble avoir jeté l’éponge et ne s’en tient qu’au minimum exigé par leur convention collective (1 infirmière pour 10 lits de soins intensifs de nuit… par exemple)

La plupart des médecins choisissent donc de quitter le système public pour aller pratiquer au privé ou carrément émigrer vers l’Europe. La vaste majorité de mes collègues avaient d’ailleurs comme objectif la France ou l’Allemagne. Aller chercher équivalences et permis avait tout l’air du parcours du combattant. Les opportunités dans les pays du Golfe foisonnaient, mais cette opportunité était moins populaire, car les Tunisiens affectionnent quand même leur culture plus libérale. Bref, ceux qui avaient choisis de rester le faisaient principalement par conviction et service. Je suis fiers d’avoir pu côtoyer certains d’entre eux, qui malgré les difficiles conditions, le salaire dérisoire, le manque de ressources, restent en poste pour soigner la population.

En conclusion

Je suis non seulement venu en Tunisie pour m’exposer à une manière différente de pratiquer la médecine mais surtout pour y travailler mes mécanismes d’adaptation. N’ayant pas suivi un parcours académique classique, je n’avais pas eu l’occasion d’aller vivre l’expérience de l’échange international. Je comptais donc sur ce voyage pour combler ce manque. Trois mois dans le système de santé tunisien n’auront eu rien de reposant et foncièrement festif, mais en frais d’expériences et de rencontres, le séjour fut riche. De repassage dans la région, il me fera le plus grand plaisir d’aller saluer de bon amis et profiter de bonnes adresses dans ce fantastique pays que je considère désormais comme étant un peu chez moi.

Petit étal à Tunis

HowITreatCovid19.com

The pandemic has meant for me a sudden halt in my clinical rotations at the hospital and confinement at home. It was rather frustrating to see the crisis unfold in our healthcare system and especially in our senior’s residences and stand here by the sidelines. However, I soon found a way to partake in this vast effort to fight off Covid-19 by volunteering along with dozens of my peers for the HowITreatCovid19.com project:

Our website is dedicated to helping healthcare professionals find accurate and up-to-date information about the best ways to manage and treat patients affected by the COVID-19 outbreak.

How I Treat Covid-19 banner

Most other volunteers dedicated themselves to sifting through the vast amounts of scientific publications coming out each day. As for myself, I renewed with my previous job as a web developer and got busy building the platform and some of it’s editorial processes.

Every little bit (of code) truly helps in this fight.

Regard sur les soins palliatifs

La médecine moderne échoue bien souvent dans son mandat de guérir le corps, mais dispose de maints outils pour apaiser l’esprit et l’aider à accepter la maladie tant dans sa progression que dans sa finalité. Alors que la plupart des autres disciplines médicales s’exhortent à cette première tâche, la deuxième incombe entre autre chose à celle des soins palliatifs. Soins palliatifs que je préfèrerai nommer soins de fin de vie, car loin de seulement viser à la palliation de symptômes, leur mandat est un d’accompagnement jusqu’à l’extinction, tant pour le patient que ses proches. Elle a comme objectif de mettre la chair et la détresse en sourdine afin de donner les moyens au malade de faire en sorte que les expériences qui l’ont rendu humain puissent être à l’avant plan dans ses ultimes moments.

C’est ce rôle d’accompagnement que j’aurai trouvé le plus enrichissant lors de mon court séjour dans cette discipline. Comme ailleurs, les prises en charge et traitements ne sont surtout que recettes éprouvées, mais aucun livre n’indique le « savoir être » qu’il faut pour escorter un compatriote et ceux qui lui sont chers vers la fin de l’existence. Certaines techniques d’interaction sont à prescrire, mais il n’y a pas d’idéal et il existe autant de manière d’agir que de personnes; tant intervenants que patients. Encore plus qu’avec le bien portant, l’approche avec le mourant s’adapte et évolue.

Les interactions avec les patients en fin de vie vont du simple regard aux longues discussion, mais l’on met en chacune d’entre elle tout le poids de notre vécu, quel qu’il soit. Le médicament que l’on administre pourra atténuer la souffrance physique, mais soulager l’esprit pour le voyage à venir relèvera tant de la philosophie que de la thérapeutique. Aux confins de la vie, l’esprit en paix semble tourner son regard vers le passé et puise dans ses souvenirs afin de construire la conclusion d’un vécu riche qui l’accompagnera dans ses derniers souffles. Les soins palliatifs ont ceci de beau qu’ils redonnent à la médecine cet apanage de discipline de l’âme qu’elle pouvait avoir alors qu’il n’y a pas si longtemps, la science moderne n’était pas si avancée et l’homme était impuissant devant la maladie. À cette époque, la mort était partie du quotidien. De nos jours, elle a été évincée de l’espace public pour n’occuper que les confins de nos sociétés. À titre de futur médecin, j’éprouve un certain intérêt à la côtoyer, car il n’y a pas plus grande source d’humilité. Dans un monde qui ne semble accorder de l’importance qu’à l’artificiel et au futile, ce genre de memento mori nous ramène à l’essentiel et à l’inéluctable : il n’y a que de vrai et de précieux nos proches ainsi que le moment présent; et que tout ceci est éphémère.

Wikimedica: une plateforme collaborative de transfert des connaissances médicales en libre accès

Le Journal médical de l’Université d’Ottawa publie mon article sur Wikimedica dans son numéro sur les innovations médicales. Merci!

Résumé:  La médecine moderne ne peut plus se pratiquer sans l’aide de bases de connaissances cliniques. Or, toutes celles disponibles sont payantes et fermées et s’il est un domaine qui pourrait bénéficier d’un accès libre à de l’information fiable, de qualité et à jour, c’est celui de la santé. Wikimedica (http://wikimedi.ca) est une plateforme libre accès conçue à cette fin qui permet tant aux cliniciens de terrain qu’aux étudiants de collaborer dans la création et l’amélioration des connaissances essentielles à leur professions.

Abstract: Modern medicine cannot be practiced without the help of basic clinical knowledge. However, all that is available is payment based and restricted, and if ever there was a field in which one could benefit from free-access to trustworthy, high quality and up to date information, it would be healthcare. Wikimedica (http://wikimedi.ca) is a free-access platform created for this purpose which allows working clinicians and students to collaborate on the creation and the improvement of the knowledge essential to their professions.