Le Country, la Bible Belt et le Midwest

Lorsque nous avons débuté à tricoter nos plans de voyage, ils s’amorçaient avec une courte-pointe colorées intégrant différents états américains. Car notre disponibilité étant d’un an, nous nous étions dit que d’en utiliser plusieurs semaines pour voir ce que l’on ne voit pas souvent au milieu de cet immense pays, valait la peine. Nous avons plutôt choisi d’établir notre objectif de complétion de nos péripéties au travers du trio d’Amériques d’ici février, et donc de passer rapidement aux États-Unis, soit tout au plus deux semaines. Nous avons une vie de résidence au Canada pour visiter nos chers voisins du Sud, alors le Grand Canyon de l’Arizona, les ranchs du Wyoming et les montagnes du Colorado nous attendront quelques années.

Ceci étant dit, il faut bien le traverser, ce pays, si on veut passer à une autre Amérique et l’itinéraire sur lequel nous nous sommes arrêtés visait des territoires qui sont normalement moins invitants aux touristes. Notamment certains coins de la Bible Belt, reconnue pour la présence importante de nombreuses églises de confession protestante et évangélique, et du Midwest. Pas parce que les gens ne le sont pas, invitants, mais simplement parce qu’en comparaison avec tout ce que les États-Unis ont à offrir, leur étoile brille moins… C’est donc pour cette raison qu’après les États du Nord que nous connaissons mieux, nous avons traversé la Virginie occidentale, qui se présente verte et quasi vierge, avec de magnifiques vallées baignées de nuages, qui viennent s’accrocher aux montagnes tel une décoration. Puis le Kentucky et le Tennessee, où le Country, les BBQ et le Bourbon commencent à montrer fièrement leur présence. Le corn bread et les pommes de terre fromagées ne sont jamais bien loin.

Après avoir célébrer à Nashville, nous avions mis le cap vers Little Rock en Arkansas.

Little Rock, Arkansas

Nashville-Little Rock
Nashville-Little Rock
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Une autoroute bien gardée par le chaud soleil de l’Arkansas, à défaut d’être très utilisée

Bien qu’elle soit la capitale de son État, la ville demeure humble dans sa présentation. Quelques maisons de riches propriétaires de la fin du 19e siècles, mais qui me rappellent un peut les maisons qu’un riche couple de Montréalais pourrait s’acheter à Ahuntsic ou Outremont, ou à Sillery pour les Québécois. Les gens des « southern states » m’ont toujours parus comme très fiers de leur culture propre qui se distingue de plusieurs autres endroits du même pays. La nourriture, déjà, qui est chaleureuse, gouteuse, grillée et grasse, ne le cachons pas. Mais toujours tournée vers le partage et la famille, probablement lié également aux valeurs communes de piété, de foi et de communauté.

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La fameuse petite roche
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Sentez-vous la chaleur?

En quittant Little Rock, par ailleurs, la réparation temporaire d’Antoine que j’avais évoqué dans ma dernière publication a nécessité un petit ajustement et nous nous sommes retrouvés sur une route de campagne dans une région plutôt pauvre, incapables d’avancer. Durant la légère manipulation nécessitant deux minutes, en prenant son temps, 80 % des pick-ups se sont tout de même arrêtés. Simplement pour aider, offrir, proposer. « Hello there, bubba, looks like you’re in a pinch, need some help » ? Notez l’amicalité du terme Bubba, qui est utilisés entre hommes dans le Sud des États-Unis pour un ami, un membre de la famille ou un garçon. On nous a proposé de tirer la voiture pour la mettre dans un endroit sécuritaire, un lift pour aller ailleurs, de l’eau vu les huit cent mille degrés à l’ombre. Honnêtement, cela a pris plus de temps pour répondre à tous ceux qui faisaient un gracieux U-turn pour venir nous aider, qu’à procéder à la fameuse manipulation nécessaire. Comme quoi l’hospitalité du Sud n’est pas une rumeur. Ce moment m’a beaucoup fait pensé à l’Asie centrale où l’on s’arrêtait régulièrement pour nous offrir toutes sortes d’aides diverses quand nous prenions une pause : bras ? Pommes ? Lift ? Eau ? Bah si vous ne prenez rien, voici au moins 4 pains ! Dans mon expérience, c’est souvent les régions qui sont les moins nanties qui nous sont les plus accueillantes. Lorsque la précarité du quotidien pèse sur tous et chacun, l’entraide devient naturelle, intégrée à l’ADN d’un peuple, j’imagine. Note à moi-même : ne pas me laisser prendre trop de distance avec cette valeur… elle est importante partout, après tout.

Parlant donc de la raison pour laquelle nous étions arrêtés… je vous avais laissé avec une petite photo de notre motel de Little Rock, où Antoine s’affairait à une pièce bien précise : le câble qui lit le bras de vitesse (nous avons une manuelle) à la transmission en tant que tel. Et bien, alors que nous allions visiter et souper en ville, il a simplement décidé de se sectionner et, par défaut, d’abandonner la tâche qui lui incombait, soit de nous permettre de passer les vitesses et, ultimement… de se rendre en Patagonie. Donc, pas une mince affaire, bien que la pièce soit simple. Notez, nous étions chanceux parce que le câble, dans sa grande générosité, a tout de même choisi de nous accorder une position en 2e. Bon, tu ne te rendras pas vite, mais tu peux te rendre où tu veux, plutôt que de rester coincé en plein milieu d’une rue. Il est possible de la changement manuellement, littéralement, mais il faut le faire le capot ouvert.

Après avoir fait quelques démarches dans les garages autour, avec quelques appels nous confirmant l’indisponibilité du remplaçant de notre pièce chérie, nous avons donc pu nous rendre au Motel vers 21h, sur notre fidèle 2e vitesse. Pour ceux qui connaissent Antoine, il ne pouvait laisser ce casse-tête sans solution. À l’aide d’un petit coffre à outils à 50$ acheté en quincaillerie avant de partir, et à l’aide d’un pied de câble métallique tressé et 2-3 pièces de quincaillerie que l’ont s’était procurés, nous nous sommes donc attelés à trouver une solution. Vous savez, le type de situation ou « patenter » prend tout son sens québécois. Ainsi, arrache un bout de caoutchouc qui pendouille et n’a plus l’air utile, plie un bout de câble coupé, serre une attache à câble métallique, installe une 2e au cas, rajoute un collet de plomberie comme filet de sécurité… et voilà!

Puzzle
Casse-tête réuss

Le truc, c’est que dans une transmission manuelle qui fonctionne de façon bancale et raboutée, une vitesse sur 2 fonctionnera. Alors je vous pose la question : si vous deviez en choisir 3, lesquelles vous prendriez? Certains nous ont déjà répondu 1-3-5… ou 2-4-6… et bien, erreur ! Parce que le petit R sur le bras de vitesse, il est sous-estimé ! Donc, après cette réparation, nous avions la 2, la 4 et le reculons. Alléluia ! Nous pouvions avancer, faire de l’autoroute, et reculer si on se stationnait ou nous retrouvions dans un cul-de-sac. L’autonomie, ça n’a pas de prix.

Ainsi, nous avons pu quitter Little Rock et nous rendre à Oklahoma City.

Okhlahoma City

Little-Rock-Oklahoma City
Little-Rock-Oklahoma City

Dans les deux villes et entre les deux, nous avons eu le plaisir de visiter les « Pick-a-part » et « Auto salvage Yards » qui se présentaient à nous, que je connais chez nous comme les « cours à scrap ». Une expérience hors du commun, quand il fait 39 degrés Celsius et gros soleil. Surtout quand on se rencontre qu’après 4-5 endroits différents… des manuelles, il n’y en a pas tant que ça, ici !

Pull-a-part
Servez-vous

Alors, après avoir fait l’effort de chercher des pièces de remplacement pas trop chères et de tenter la réutilisation (nous avons une veille minoune de 2005, après tout), nous avons dû nous rabattre sur le dernier plan, que nous avions identifié au début comme outrageux. L’achat d’une pièce NEUVE chez Toyota, qui est vendue, vue sa rareté, au prix d’une pièce d’art contemporain que les connaisseurs de Soho s’arrachent : près de 700$, US par dessus le marché. Plus les frais de l’installation parce que bon, rendus là, aussi bien s’assurer que ce soit bien fait et qu’on puisse repartir aujourd’hui pour notre prochaine destination au Texas. Dans les voyages comme dans la vie, faut savoir s’adapter aux imprévus et aux impondérables, et nous avons avalé notre pilule, qui a fini par bien descendre avec notre café en attendant dans la salle climatisée de Toyota. Les solutions ne sont pas tout le temps celles que l’on visait mais, tant qu’il y a une solution ! On pensait quand même rencontrer notre premier enjeu mécanique ailleurs que dans notre premier pays visité.

Je tiens à préciser que bien que ma nature humaine me pousse à préférer la facilité, l’absence d’embûche et la sécurité, c’est le type d’événement que je trouve stimulant. Comprenez-moi bien, en l’absence d’Antoine, ma carence en connaissances mécaniques me rendent complètement dépourvue. Mais j’admire sa curiosité et sa ténacité, qui m’accompagnent dans ma propre démarche d’apprentissage. Je prends plaisir à réfléchir avec lui sur comment nous pourrions trouver la pièce manquante à notre casse-tête, ou comment construire une pièce automobile transitoire avec les moyens du bord, ou à aller suer dans un champs de carcasses de métal pour ne pas trouver ce qui nous est nécessaire, ou à simplement mieux comprendre comment la voiture fonctionne. Dans mon monde de facilité qui me fait appeler un garagiste quand j’ai un problème de char, le défi et la réussite actuels sont intellectuellement satisfaisants. Parce que si onous avons visité cinq cours à pièces automobiles (parce que les quinze autres appelées n’avaient pas la voiture cherchée), c’est parce que c’est la réalité de bien des gens. Je vois donc comme un avantage d’ajouter cette corde à mon arc, même si la corde n’est pas attachée bien solidement… !

Et puis notre séjour en Oklahoma, malgré tout, aura été très apprécié. L’Arkansas avait revêtu à mes yeux un aspect un peu plus… terne et morose, peut-être, à défaut de meilleur qualificatif. Je trouve par ailleurs peu à dire de ce que que nous y avons vu, outre ce que j’ai déjà mentionné sur la chaleur de ses gens. Mais en traversant en Oklahoma, on sent le petit côté Ranch qui vient de s’ajouter : les pick-ups servent, ici, et de la boue aux ailes, ils en ont. Même un policier à qui nous avons rapporté des cartes d’identités trouvées par terre portait des bottes de Cowboy… le pittoresque se trouve parfois dans les détails…

En traversant la ville via ses petits parcs ombragés longeant des canaux et ses grandes artères bordées d’immeubles, nous avons trouvé quelques petits endroits qui méritaient un regard ou un arrêt. Notamment, le mémorial à l’attentat de 1995, où deux américains en colère contre l’appareil fédéral, avait coûté la vie à 168 personnes (peut-être 169, selon les recherches). Il s’agit encore, à ce jour, de l’attentat domestique le plus meurtrier de l’histoire des États-Unis.

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Chaque chaise représente l’une des 168 personnes tuées dans l’attentat
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9:01, soit une minute avant l’attentat. Face à cette porte, il y en a une identique indiquant 9:03, soit la minute suivant l’attentat, où tout a changé pour Oklahoma City

OKC

Aussi, en fin de soirée hier, alors que nous avions terminé une bière avant d’aller nous coucher en prévision de notre rendez-vous matinal au garage, Nous avons entamé une discussion avec un américain accoudé au bar. Un chouette mec, volubile et de passage venant du Michigan, avec qui nous avons échangé sur nos vies et nos vues. Nous n’avions certainement pas les mêmes opinions, et il y avait de la place pour qu’une belle chicane s’installe, si l’une des parties l’avait souhaité. Mais non, nous avons échangé, tranquillement, passant de nos situations maritales respectives à la politique américaine et canadienne, saupoudré de sujets comme les chiens, l’armée, les espoirs, les camioneurs d’Ottawa, la neige, l’Irak… C’est ce qui est beau dans ce type de rencontre : sur les médias sociaux, chacun aurait levé les yeux au ciel face aux commentaires de l’autre, mais face à face, il y a un partage honnête et véritable, même sans changement d’adhésion. Santé Eddy !

Bon, la voiture sera prête bientôt, on se prépare à aller voir le Texas.

Audrey, live from Oklahoma City

P.S. Les produits d’Unibroue sont disponibles à quelques endroits dans le coin… Un serveuse qui ne savait pas d’où l’on venait nous a même dit que la « End of the world is the best Triple EVER » !

3 Replies to “Le Country, la Bible Belt et le Midwest”

  1. J’adore ce bout de paragraphe que tu écris, soit: ” Lorsque la précarité du quotidien pèse sur tous et chacun, l’entraide devient naturelle, intégrée à l’ADN d’un peuple, j’imagine. Note à moi-même : ne pas me laisser prendre trop de distance avec cette valeur… elle est importante partout, après tout.”

    Je glisse le 19 premiers mots de ce bout de paragraphe dans ma liste de citations avec le nom de son autrice Audrey Roy.

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