Nos invités ne disposant de peu de temps en Inde, nous nous étions assurés que les musts soient couverts durant le séjour, c’est à dire Delhi, Agra, Varanasi. Toutefois, en aménageant un peu l’horaire, nous étions parvenus à libérer une nuit afin d’aller faire l’expérience d’une ville hors circuit: Lucknow. Bien qu’étant la capitale de l’Uttar Pradesh, Lucknow, contrairement aux endroits visités jusqu’à présent, n’était pas une ville à thème (pour reprendre un qualificatif suggéré par Audrey). Delhi est là capitale, Agra le Taj Mahal, Varanasi la spiritualité et Lucknow juste une énorme agglomération où vivent et travaillent des millions d’Indiens.
Lucknow, Uttar Pradesh, Inde
Après une nuit dans le train somme toute reposante, nous sommes allés déposer nos choses dans notre chambre puis avons quitté pour l’après-midi. Assez retardés par la quête infructueuse d’un McDonald’s, il nous a fallu nous contenter d’un Subway afin de satisfaire le désir de nos voyageurs d’aller tester les équivalents indiens de nos grosses bannières de restauration rapide. Comme à l’habitude donc, l’après-midi était bien entamé lorsque nous nous sommes mis en branle.
Comme première visite un mausolée particulièrement inintéressant. Au moins, il nous rapprochait du parc de bord de rivière que nous comptions emprunter pour attendre notre prochain objectif. Évidemment, le parc en question n’était qu’un truc à moitié fini se terminant en impasse. De retour sur les boulevards, alors que nous marchions à bon pas dans l’espoir de disposer de suffisamment de temps pour visiter un autre monument, un énorme coup de fait entendre juste à nos côtés. Une voiture est arrêtée sur la route et devant elle un tuk tuk sérieusement tordu par l’impact. Accourant de l’autre côté de la voiture, nous découvrons le chauffeur du tuk tuk couché sur le sol, sa tête sous la voiture. Sachant pertinemment que ce genre de victime a la colonne fracturée jusqu’à preuve du contraire, je me penche sous la voiture pour évaluer si elle respire. Heureusement,il y a un souffle, mais elle ne répond pas à mes paroles. Alors que je lève la tête pour m’assurer que l’ambulance avait été appelée (chose dont mes compatriotes s’étaient assurés) je croise des dizaines de regards tous penchés sur la scène.
Aussitôt je demande si l’un d’eux comprend l’anglais. Après quelques secondes, un Indien se manifeste et je lui indique de parler à la victime en hindi. Avant qu’il n’ait le temps d’obtempérer, on m’informe qu’il faut déplacer la victime. Je m’oppose, mais en vain. Hugo, Audrey et l’Indien m’aident à la tirer et la tourner en bloc pendant que je lui tiens la tête. L’Indien se décide finalement à lâcher quelques mots au malheureux (je n’ai pour ma part jamais arrêté de lui parler) qui réagit en marmonnant faiblement. La police, qui se trouvait sur les lieux depuis le début et ne foutait absolument rien, décide que finalement il faut libérer la route que c’est le chauffeur du véhicule accidenté qui amènera le blessé à l’hôpital. Encore une fois on s’oppose, tentant de faire comprendre aux gens qu’il faut impérativement immobiliser ce genre de victime avant de les déplacer. Rien n’y fait, alors on charge l’homme sur la banquette arrière du véhicule. De toute manière, personne n’avait en fait appelé d’ambulance. Pendant que je reste à ses côtés pour lui tenir la tête, Audrey embarque à l’avant. Hugo et Hélène restent sur place; ils ont un téléphone, alors on se débrouillera pour les rejoindre.
Au cours du trajet, l’homme commence à regagner conscience, réagit à ma parole et bouge tous les membres de son corps. Son haleine sent l’alcool et son oreille a été fendue par le choc, libérant un petit filet de sang. En raison d’une roue tordue par l’impact, on avance à pas de tortue. Finalement, on entre dans une cour. Je demande si c’est l’hôpital, mais personne ne parle anglais. En sortant du véhicule, je me rend compte qu’on est chez la police et qu’il faut transférer le blessé dans une autre voiture. Moins de précautions à prendre ce coup là, car la victime parvient à se tenir assise. Sur le chemin de l’hôpital, le blessé, ivre de toute évidence, s’agite de plus en plus à un point tel que je dois le garder sur son siège de force afin qu’il ne s’en prenne pas au chauffeur. Arrivés à l’entrée de l’urgence, on le sort de la voiture (laquelle disparaît de suite) et aussitôt il tente de prendre la fuite. J’ai beau faire de mon mieux pour le raisonner (sans parler sa langue), en vain, il finit par disparaître dans le paysage urbain. De retour auprès du personnel d’admission, on me dit que c’était un ivrogne et qu’il n’y avait rien à faire. Ne pouvant rien contre les multiples standards et inégalités de l’Inde, je me console en me disant que j’aurais au moins fait de mon mieux. Demandant à aller laver mes mains pleines de sang, on m’amène à un évier où il n’y a pas de savon. Vu l’impact, il est probable que la victime perdra connaissance à nouveau dans les heures suivantes pour décéder d’une hémorragie intracrânienne. Les chances sont par compte qu’elle se réveillera demain avec le pire mal de tête de sa vie, son tuk tuk en ruine et des comptes à rendre à la police. Ça, je lui souhaite de tout coeur.
Nos amis de retour auprès de nous, on remets nos chapeaux de touristes et nous rendons au Bara Imambara, un splendide mausolée dédié à un sain de l’islam. À peine arrivés sur le site que l’heure de la fermeture avait déjà sonnée. Quand même, on a disposé de suffisamment de temps pour prendre une bonne dizaine de selfies, mais pas pour profiter de l’endroit, auquel nous allions devoir revenir le lendemain à coup sûr. Après la visite d’une mosquée non loin, nous avons parcouru un énorme boulevard tout aménagé d’imposantes arches et d’espaces publics, puis nous sommes dirigés vers un restaurant de kebabs. Au préalable, il nous a tout de même fallu marcher plusieurs kilomètres pour nous y rendre, mais le repas en valait la peine. Lucknow mérite bien sa réputation de destination gastronomique.
Étant donné l’imprévu d’hier, nous sommes retournés dans le même quartier de Lucknow pour reprendre la visite. Suite à un passage par le “Residency”, un ancien complexe militaire bâti par les Britanniques durant l’ère coloniale et détruit lors de la première guerre d’indépendance, nous sommes revenus au Bara Imambara afin de l’explorer plus en détails. Beaucoup plus impressionnant de l’extérieur que de l’intérieur, les étages supérieurs du mausolée sont néanmoins très intéressants de par le fait que les bâtisseurs en ont fait un immense labyrinthe de couloirs et d’escaliers. Il nous aura fallu au-delà d’une heure pour l’explorer et finalement nous en extirper à temps pour aller visiter un bâoli sur le site puis sortir à temps pour la fermeture du monument. Après un court repassage par le grand boulevard, nous avons récidivé en nous rendant vers un autre restaurant de kebabs réputé de la ville.
Nous comptions reprendre un train de nuit vers Delhi, mais en raison de la trop grande volonté du propriétaire de notre gîte de nous aider, le processus de réservation s’est à ce point complexifié que les billets n’étaient plus disponibles lorsque finalement tous s’étaient compris sur les paramètres. Il ne nous restait d’autre option que d’acheter des places dans un autobus de nuit. Les Indiens, si serviables qu’ils sont, ont généralement tendance à rendre la tâche plus ardue lorsqu’ils vous viennent en aide, d’une part car ils formuleront des suggestions sans savoir ni comprendre ce que vous voulez vraiment,et d’autre part car ils vous enverront chez leur “ami” pour que ce processus se répète à nouveau.
Le temps venu de nous rendre à l’endroit de départ de notre autobus (les autobus de nuit partent rarement des garres), nous sommes donnés amplement de jeu afin de nous préparer aux impondérables. Et des impondérables il y a eu. Il n’y a généralement pas d’adresses en Inde, la mosaïque urbaine étant beaucoup trop complexe pour diviser le tout en cadastres. Un lieu sera donc bien souvent identifié par son nom, sa rue et/ou son quartier et à côté de quel autre endroit il se situe. La résultante est qu’il est très difficile pour quelqu’un ne connaissant pas les parages de s’y retrouver, ce qui a été le cas pour notre pauvre chauffeur de taxi, lequel a dû se renseigner auprès d’une dizaine de personnes avant de trouver l’endroit d’où quittait notre bus. Le processus ayant pris en tout et pour tout un bon 45 minutes, nous nous sommes assurés de le compenser suffisamment pour son aide.
Quelle aventure! Même en étant adaptés comme vous l’êtes, ça demeure des plus étonnants. Les gens sont laissés à eux-mêmes…je me mets à jour dans la lecture de votre blog. Ouf ! J’avais pris du retatd!