Baïkonour, Kazakhstan

Baïkonour est le plus important cosmodrome Russe et le seul endroit d’où partent maintenant les vols habités vers la Station Spatiale Internationale depuis la fin du programme de la navette spatiale américaine. Pourquoi donc Baïkonour se trouve en territoire Kazakhe? Et bien parce jadis, le Kazakhstan faisait partie de l’URSS et qu’il était l’un des sites adaptés au lancement d’engins spatiaux le plus au sud. De nos jours, la Russie loue l’endroit au Kazakhes. Baïkonour ville et la zone du cosmodrome sont donc des territoires Russes pour lesquels un visa et un permis sont nécessaires si l’on veut les visiter. À côté de Baïkonour, la ville kazakhe de Toretam, petit coin pauvre et poussiéreux, est elle accessible à tous et justement, c’était là que nous avions passé la nuit et là que nous allions entreprendre nos recherches d’un moyen de rentrer sur le cosmodrome. Théoriquement, j’aurais dû nommer l’article selon le nom de cette ville, mais Baïkonour est largement plus connue, même si nous n’y avons en fait jamais mis les pieds.

Scène de marché à Toretam

En pratique, si l’on veut assister de près à un décollage de fusée, il faut débuter les arrangements plusieurs mois à l’avance avec des compagnies de tourismes désignées par l’agence spatiale Russe et débourser d’importantes sommes. Nous n’étions prêt à faire ni l’un ni l’autre, alors notre plan était de trouver un moyen détourné d’y parvenir. Tel que discuté avec Aurélien alors que nous étions à Almaty, on ne pouvait quand même pas se trouver au Kazakhstan et ne pas tenter notre chance. Au pire, nous allions observer le décollage de l’extérieur et comme l’expérience de la veille nous l’avait montré, le spectacle allait quand même en valoir la peine.

Par où commencer la recherche d’une manière de pénétrer dans l’un des endroits les plus sécurisés de la planète (il s’y est fait des tests nucléaires dans le passé…)? Simplement en se présentant à l’entrée. Évidemment, le garde Russe avait beau être sympathique, il nous a rapidement fait comprendre que nous avions besoin d’un permis spécial et d’un visa et qu’il était pas du type très flexible. À l’entrée de Baïkonour ville, il nous fallait seulement un visa. Lorsque nous avons demandé au garde comment  obtenir un permis, il nous a simplement pointé un véhicule appartenant à une agence de tourisme. Bon, ce n’était pas gagné d’avance, mais ça valait de coup. Par la suite, nous avons tenté de trouver le poste de police de Toretam pour voir si les forces locales n’étaient pas capables de nous “arranger” quelque chose. Malheureusement, pas de poste de police en vue, alors nous nous sommes rabattus vers la gare afin de voir s’il ne s’y trouvait pas un comptoir d’une agence de tourisme locale. Évidemment non, elles devaient de trouver dans Baïkonour.

C’est là que nous avons joué notre dernière carte: les chauffeurs de taxi. Partout dans le monde, les chauffeurs de taxi sont les vecteurs du vice par excellence et moyennant compensation, n’auront aucun scrupule à vous trouver drogues, prostituées et qui sait, un moyen de rentrer dans le cosmodrome d’à côté. Alors que nous discutions avec l’un d’entre eux, Audrey qui nous observait au loin a intercepté deux touristes polonais qui se trouvaient dans la même situation que nous. Une fois de retour auprès d’elle, nous avons rattrapé ces deux touristes pour les questionner davantage sur l’avancement de leur recherches. Il s’adonne qu’ils étaient cinq, qu’ils parlaient Russe et qu’ils avaient trouvé un chauffeur de taxi avec un bon plan. Excellent!

Après m’avoir donné leur numéro de téléphone, ils nous ont promis de nous tenir informé lorsqu’il recevraient des nouvelles. Je suis tout de suite parti me chercher une carte SIM afin de pouvoir communiquer avec eux et tous les trois excités, nous sommes tout de même partis visiter le point d’observation que nous avions repérés hors de la ville, car c’était notre plan B et aussi là que nous avions donnés rendez-vous à Sven qui arrivait à moto. Nous étions tout juste arrivés là que j’ai reçu un message des Polonais nous demandant de revenir en ville pour discuter de l’affaire. De retour à leur côté, ils nous ont informé que pour 40000 Tengues (60$ par personne), nous allions pouvoir observer le lancement à 1,2 kilomètres de distance. Génial! En plus, nous n’allions payer qu’après l’événement, il fallait seulement montrer que nous avions les fonds avant le départ. Nous avons tout de suite accepté et nous sommes donnés rendez-vous à 2h du matin devant leur hôtel. Il n’y avait malheureusement pas de place pour Sven, car nous étions déjà 8 et avec deux chauffeurs il ne restait plus de place dans les voitures. Dommage…

 

Nous avons donc repris le chemin de notre point d’observation et nous sommes cuisinés un bon mijoté avec des provisions achetées au marché de Toretam. Un peu plus tard, j’ai reçu un appel m’indiquant que l’heure du rendez-vous avait changé à 1h. Vers les minuit, Sven n’était toujours pas arrivé en raison de conditions routières difficiles, alors je lui ai écrit pour lui indiquer que nous quittions, mais que le point de rendez-vous que nous lui avions donné était un bon endroit pour poser sa tente et observer le spectacle. Une fois les polonais rejointsà leur hôtel, nous avons été ramassés par deux taxis puis transportés non loin de là où une fourgonnette UAZ nous attendait. Le stress et l’anticipation étaient à leur comble, me rappelant ces moments d’attente avant une attaque dans l’armée.

C’est à partir de ce moment que le plan a commencé à partir en vrille. Il y avait eu confusion, la somme demandée n’était pas 40000 tengues, mais 40000 roubles, soit cinq fois plus. Évidemment, s’il fallait payer les gardes Russes à l’entrée du cosmodrome, ce n’était pas avec de la monnaie kazakhe qu’il fallait le faire. Comme personne n’était prêt à débourser ce montant, nous sommes tous descendus du véhicule et avons entamé des négociations avec les chauffeurs. Je dis nous, mais en réalité c’était les Polonais qui s’occupaient de tout, car nous ne parlions aucun Russe. Finalement, les chauffeurs étaient prêt à nous approcher à 3km pour la somme convenue. Très raisonnable. Nous sommes donc embarqués dans deux autres voitures et nous sommes mis en route. Déjà, je commençais à flairer quelque chose de louche, car nous étions à 1h15 du décollage et personne ne semblait pressé. D’autant plus que nous semblions nous diriger vers notre point d’observation, l’endroit où nous avions mangé et donné rendez-vous à Sven.

Effectivement, c’était là que les chauffeurs nous emmenaient. Voyant que Sven avec sa copine en train d’installer sa tente, j’ai fait arrêter le chauffeur quelques secondes pour le saluer puis nous avons continué notre route sur un chemin de steppe. La Golf s’en serait très bien tirée, mais nos voitures n’étaient nullement adaptées alors ça râpait à tout bout de champ. Pendant ce temps là, les minutes avaient passé et nous n’étions qu’à une demi-heure du décollage. À moins que l’on rejoigne une route goudronnée, il était impossible que l’on couvre les 20 kilomètres qui nous séparaient des 3 kilomètres convenus de la plateforme de lancement à temps.

En passant près d’une ligne électrique, les chauffeurs se sont arrêtés, signalant qu’il y avait “de la construction” et qu’ils ne pouvaient aller plus loin. Aussitôt, nous avons informés les Polonais avec cartes à l’appui que nous étions encore à plus de 20 kilomètres du site et eux se sont promptement retournés vers les chauffeurs kazakhes. Nous étions tous très en colère, mais curieusement, les deux chauffeurs ne semblaient pas en faire de cas, d’autant plus qu’ils étaient en infériorité numérique. Sans vraiment comprendre en quoi consistait leurs réponse, nous sentions que leur attitude laissait présager qu’ils allaient braver la tempête et se faire la malle avec notre argent. Argent qui leur avait été donné par un polonais (sous pression) quand il avait été convenu qu’aucune somme ne serait déboursée avant le lancement. D’ailleurs, lorsqu’il étaient sommés de nous rendre nos tengues, il répondaient simplement qu’ils ne les avaient pas sur eux. Ça commençait à chauffer. De nul part, Aurélien s’approche de moi et me dit tout bas qu’il a réussi à piquer les clés d’une voiture. Je le félicite et relaye l’information à une Polonaise du groupe qui aussitôt sourit de satisfaction. L’avantage était maintenant de notre côté.

Vu que le moment du décollage approchait, il s’est installé une trêve dans les hostilités. Tout d’un coup, un pan entier du ciel s’illumine et peu après, la fusée s’élève de l’horizon, suivie d’une énorme traînée ardente. Quand-même spectaculaire pour 20 kilomètres de distance. Et dire qu’il y a trois astronautes dans l’engin. Peu après ce moment, le son nous rejoint et rempli la steppe d’un grondement fort et beaucoup plus distinct que celui entendu la veille. Une minute après le décollage, les quatre boosters se détachent et un court laps de temps plus tard, c’est le premier étage qui est largué pour aller brûler dans l’atmosphère, formant dans l’opération un immense halo de fumée autour de la fusée. Encore une fois, spectaculaire. Bien malheureusement, la situation dans laquelle nous nous trouvions nous a pourri quelque peu l’expérience. Disons qu’avoir su, nous aurions largement préféré assister au spectacle depuis notre camp avec Sven. Tout ce tracas ne valait certainement pas le petit kilomètre parcouru.

Scène d’engueulade avec les chauffeurs kazakhes (désolé, pas de meilleur photo)

Le vent a tourné lorsqu’un des deux chauffeurs est rentré dans sa voiture pour la préparer en vue du retour en ville. Remarquant qu’il n’avait pas ses clés, il a informé son congénère et de suite tous deux ont commencé à se montrer plus ouverts à la négociation. Il faut dire que le ton commençait vraiment à s’élever. Pendant ce temps, Aurélien m’informait qu’il venait de démonter l’antenne de CB d’une des deux voitures et la balancer dans la steppe histoire de les faire regretter de nous avoir prit pour des cons. Finalement, la quasi totalité de la somme nous a été restituée, il ne manquait que 10000 tengues aux Polonais. Il allait falloir continuer la négociation au village, alors nous sommes rembarqués dans les véhicules. Avoir su, nous serions venus avec nos propres moyens, car il nous fallait ensuite revenir au même endroit pour camper non loin de Sven.

Arrivé en ville, un troisième Kazakhe qui nous attendait afin de reprendre possession de sa voiture se rend compte que l’antenne manque. Il empoigne aussitôt par la caméra que j’avais au cou et commence à me crier après. Merde! J’attrape sa main et l’éloigne de manière à me dégager et me met à lui dire bien fort (en français) que je ne sais pas où se trouve son antenne. En fait oui je sais, mais bon… Le reste des polonais arrive alors et le même homme tente d’en attraper un par le cou pour finalement se faire plaquer de force contre son véhicule par le plus gros d’entre eux. L’un des chauffeurs ouvre alors le coffre d’une voiture pour se saisir d’une matraque, mais est retenu par un autre Kazakhe qui le retient. In extremis, la situation se calme et finalement tout le monde se remet à parler. Un polonais qui avait photographié la voiture montre au propriétaire du véhicule que son antenne était bien là au début et que vu la taille qu’elle avait, elle ne pouvait pas se trouver sur personne; logiquement elle avait dû tomber en route. Évidemment, c’était une théorie hautement improbable vu la manière dont ces antennes sont fixées, mais nous n’allions pas tout de même leur dire qu’Aurélien l’avait démontée puis jetée. Aurélien qui d’ailleurs commençait à regretter son geste: “Quand je commence à piquer des trucs, je ne suis plus capable de m’arrêter…” Effectivement, le vol des clés avait été un bon coup, celui de l’antenne, un peu moins. Rendu-là, il allait devenir difficile pour les Polonais de récupérer le 10000 manquant. Tout le monde était fatigué et après un bon 20 minutes de discussion supplémentaires, il semblait s’être convenu que les chauffeurs allaient garder le 10000. L’entente conclues, le propriétaire est venu serrer la main et s’excuser envers tous les gens présents puis a sauté dans son véhicule pour refaire le chemin inverse et retrouver son antenne. J’ai tenté d’offrir plusieurs fois un 5000 aux Polonais pour séparer les pertes, mais rien n’y faisait, il se sentaient coupables de nous avoir entraînés dans cette histoire.

De retour dans la Golf, nous nous sommes dirigés vers notre lieu de campement original, sauf que de peut de tomber sur les Kazakhes, nous nous sommes installés de l’autre côté de la route. Peu après avoir déployé la tente, un véhicule est sorti du même endroit où nous avions prit la route de steppe. Ce devait être eux et selon Aurélien, il avaient probablement retrouvé leur antenne car il ne l’avait vraiment pas lancé très loin. À 5h30 du matin, il était plus que temps que nous nous couchions, mais nous avons quand même dégusté une bière histoire de faire tomber la tension et refaire un peu le point sur une soirée désastreuse.

Certains diront que nous méritions la leçon pour avoir tenté d’enfreindre les règles. Je ne partage pas cette vision. En ce qui me concerne, nous avons pris un risque et nous avons échoués dans notre tentative. Si c’était à refaire, je le referais mille fois. Quand-même, on parle d’aller voir décoller une fusée Soyouz, alors l’expérience valait que l’on déploie tous les efforts possibles, légaux ou illégaux. Ce que nous nous apprêtions à faire n’avait à nos yeux rien d’immoral et ne mettait personne en danger. Nous allions simplement contrevenir à des règles mises en place par une manière de penser datant de la guerre froide. À Cape Canaveral en Floride ou à Kourou en Guyane, la NASA ou l’ESA ne chargent rien pour aller voir un lancement. Les Russes devraient en faire tout autant, surtout pour les lancements à destination de la Station Spatiale Internationale, un projet auquel l’humanité entière a contribué de près ou de loin.

 

Shymkent, Kazakhstan – (Turkestan) – Baïkonour, Kazakhstan

  • Date: 11 septembre
  • Départ: 15h30
  • Arrivée: 3h00
  • Température: soleil
  • Route: autoroute puis route d’excellente qualité
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Première priorité: régler notre problème de pneus. Maintenant connaisseur de la manière kazakhe de réparer les véhicules, j’ai demandé au propriétaire de l’auberge où se trouvait le coin garage de la ville. Une fois là-bas: malheur, quasiment tout était fermé (un lundi). Exception faite de quelques personnes affairées à bricoler, c’était vide.

Tout de même, quelques Kazakhes se sont approchés de nous pour voir si nous avions besoin d’assistance. Avec leur aide, nous sommes parvenus à réinsérer une mèche sur un pneu et à le regonfler. Pour l’autre, l’un d’eux m’a donné une nouvelle valve (et refusé l’argent que je lui ai offert). Alors que je m’apprêtais à la poser pendant qu’Audrey et Aurélien s’occupaient de réinstaller l’autre pneu. Une famille qui dînait non loin nous a interpellé et invité à leur table pour partager salade et plov à même leur petit commerce de pare-brise. La propriétaire était manifestement heureuse de nous recevoir et fière de nous présenter son fils et petit fils sans manquer de nous demander si nous avions un compte Instagram. Une fois le dîner terminé, son fils m’a emmené chez un vulcanizer (le spécialiste du pneu) pour pour faire installer la valve et regonfler la roue. De retour à la voiture, le tout a été installé en deux temps trois mouvements et après avoir longuement remercié nos hôtes d’un repas, nous avons finalement quitté Shymkent. Sérieusement, les Kazakhes sont des gens formidables.

Un petit deux heures plus tard et nous étions à Turkestan, ville intéressante car haut lieu de pèlerinage au Kazakhstan. Son mausolée vaut vraiment le coup d’oeil, alors malgré un départ tardif, il fallait que nous nous y arrêtions. La visite faite et de retour sur la route pour quelques centaines de kilomètres jusqu’à Kyzylorda pour un ravitaillement en essence et en vivres en prévision des prochains jours de camping. Il commençait à se faire plutôt tard et nous avions un décollage à observer.


Il décollait une fusée Soyouz le 12 septembre (21h20 GMT), mais chanceux que nous sommes, il décollait aussi une Proton le 11 septembre à (19h40 GMT) afin de mettre un satellite de télécommunications en orbite géo-stationnaire. Aurélien ne l’avait initialement pas remarqué dans la planification des vols, alors elle était possiblement un report pour mauvaise météo ou problème technique. Nous allions donc avoir l’opportunité d’assister à deux lancements. Si seulement nous pouvions nous rendre à temps, car de Kyzylorda, nous étions encore à un bon 200 kilomètres de notre point d’observation. Pas question d’appuyer plus fort sur l’accélérateur par contre. Bien que la route était en bon état, il s’y trouvait sporadiquement vaches, chameaux et chevaux. D’ailleurs, je m’étais un peu plus tôt fait une belle frousse en remarquant in extremis dans la nuit un troupeau entier de bovins en plein milieu de l’autoroute à la sortie d’un virage.

Vu que l’internet avait été très avare d’informations concernant les lancements depuis Baïkonour, nous ne savions pas vraiment à quoi nous attendre.Heureusement, la météo était de notre côté, mais quand même, allions nous être en mesure de voir quelque chose depuis 20 kilomètres, 40? C’est pourquoi nous ne voulions vraiment pas manquer le lancement d’aujourd’hui afin de pouvoir si nécessaire réviser notre technique d’observation pour celui du lendemain. Lors de nos recherches, nous avions ciblé un point d’observation accessible depuis la route à l’aide d’images satellites qui nous plaçait à la plus courte distance à vol d’oiseau de la plateforme tout en restant hors de la zone d’exclusion du cosmodrome. Par contre, nous ne savions pas s’il s’y trouvait des obstacles comme des collines, si le chemin était praticable, si d’autres gens n’y étaient pas déjà, si l’endroit était infesté de chameaux, etc. Les questions ne s’arrêtaient pas là: dans quelle direction les fusées décollaient? Théoriquement le nord-est, mais nous n’en étions pas certain. À quoi ressemblait une trajectoire dans le ciel? Etc.

Nous étions encore à 20 kilomètres de ce dernier et donc 45 de la plateforme de lancement lorsque les moteurs de la fusée Proton se sont déclenchés. Aussitôt, une partie de l’horizon et j’ai tout de suite arrêté la voiture sur le bas côté pour que nous sortions profiter du moment. Rapidement, une longue traînée de flammes s’est élevée de l’horizon suivi d’un panache de fumée. Passant d’une trajectoire verticale à presque horizontale dans le ciel, la fusée a continué son vol et s’est graduellement transformée en un point très lumineux qui s’est à son tour séparé en deux alors que le premier étage s’est détaché du reste de l’engin. Quelques minutes plus tard, un grondement sourd a envahi la steppe pendant une bonne trentaine de secondes. Absolument fantastique.

S’il fallait qu’un décollage soit si impressionnant de 45 kilomètres, il allait l’être encore plus de 20 et encore davantage de 3 (pour autant que l’on trouve un moyen de s’y rendre [c’était là notre mission du lendemain]). Une fois à Baïkonour, il était un peu trop tard pour installer le camp, alors nous avons demandé les directions vers (le seul) hôtel de la ville pour y passer la nuit. Au matin, nous allions pouvoir débuter plus tôt notre recherche d’un moyen de rentrer sur le cosmodrome afin d’observer le lancement d’encore plus proche.

Almaty, Kazakhstan – Shymkent, Kazakhstan

  • Date: 10 septembre
  • Départ: 13h00
  • Arrivée: 0h30
  • Température: soleil, nuages et petite pluie
  • Route: autoroute d’excellente qualité
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Un dernier petit repas à la cafétéria kazakhe et hop, nous voilà partis. Ça roule bien, l’autoroute est neuve et ça se voit. Selon Aurélien, elle a été financée par les Chinois en tant que nouvelle “Route de la soie”, où plutôt un moyen pour eux d’accéder les marchés européens par la terre. On s’arrête dans un halte routière pour une pause toilette et en inspectant le niveau d’huile, j’entend un bruit de fuite d’air qui vient d’un pneu. Merde! Hier lors du réalignement, le mécanicien a mal replacé l’enjoliveur et en roulant, celui-ci a frotté contre la valve et l’a sectionnée. Changement de pneu donc.

Repassant du côté conducteur pour prendre ma place dans le véhicule et repartir, je remarque que le pneu est affaissé. Remerde! C’était la réparation que j’avais faite en Ukraine et que je venais de déplacer de l’arrière à l’avant l’avant veille. Il semblerait que le poids du moteur l’ait fait lâcher. Comme il restait un peu d’air, nous avons tenté le trajet jusqu’au village voisin, décidément trop petit pour que nous trouvions un garage. À Taraz, la ville voisine, nous sommes tombés sur plusieurs endroits potentiels, mais aucun n’était en mesure de réparer nos pneus, seulement de redonner un petit coup de pompe à celui qui se dégonflait. 200 kilomètres plus tard, le pneu s’était redégonflé et a été remplacé par notre deuxième roue de secours (nos deux roues de secours sont en fait des pneus très usés).

Voyez-vous? De la belle autoroute!

La route était d’excellente qualité et l’est resté du début jusqu’à la fin mis à part quelques sections de un kilomètres et moins qui n’avaient simplement pas été refaites. C’était d’ailleurs chose commune au Kazakhstan (et dans les pays moins développés), parfois des routes, parfois des bâtiments, bref, une bonne partie des projets n’étaient pas menés à complétude où visiblement bâclés. À qui la faute? Probablement, la corruption, le manque de fonds ou les deux …

Finalement arrivés à destination, nous avons rapidement trouvé notre hostel, déposés nos affaires et sortis acheter une bière et de quoi manger. Le tout a été consommé en compagnie d’Alejandro, un Espagnol en cavale dans la région.

Almaty, Kazakhstan

Plusieurs Kazakhes rencontrés à Astana nous ont confiés venir d’Almaty, l’ancienne capitale au sud et lorsqu’ils apprenaient que justement elle se trouvait sur notre parcours, ils renchérissaient à l’unanimité qu’elle était beaucoup plus charmante qu’Astana. Comme de fait, c’est la première chose qui frappe lorsqu’on arpente Almaty, ses petites rues, toutes verdoyantes et flanquées de petits édifices vieillots. Astana, rappelez-vous, était tout le contraire : d’immenses boulevards dénudés de nature et bordés par d’immenses tours flambant neuves. Autre contraste, Astana est située au beau milieu de la steppe alors qu’Almaty se trouve en contrefort de montagnes dépassant le 4000 mètres et desquelles on aperçois glaciers et neiges éternelles.

La première journée donc, après avoir passé l’après-midi à l’ordinateur, nous avons sauté dans le téléphérique non loin de l’hostel pour monter le Kok Tobe et profité de ce promontoire pour observer le soleil se coucher sur la ville. Spectaculaire. Pour le reste de la soirée, rien de cette envergure, nous sommes simplement restés tranquille à l’hostel et plus tard, nous avons partagé une bière avec Aurélien, notre co-chambreur. Il avait voyagé jusqu’à Almaty en auto-stop depuis Shanghai en Chine et avait donc de bonnes histoires à conter. Il se dirigeait vers Baïkonour, le fameux cosmodrome russe, afin de tenter de voir décoller une fusée Soyouz qui emmènera un équipage vers la Station Spatiale Internationale. Par la suite, il se dirigerait vers la mer morte. Intéressant…

Au réveil le lendemain, nous avons discuté plus longuement avec Aurélien pour en apprendre plus sur son plan. Lors de la planification du voyage, en apprenant qu’il décollait un vol de Baïkonour alors que je me trouvais au Kazakhstan, j’avais sérieusement considéré y aller, mais à 1400 kilomètres d’Almaty, c’était peut-être trop loin. D’autant plus que pour rentrer sur le site, il fallait un laisser passer officiel que seulement certains opérateurs de tourisme étaient mandatés à émettre pour des sommes avoisinant les 1000-3000 euros (incluant le vol depuis Astana et un tour des installations). Aurélien n’avais de toute évidence par de tel permission et allait tenter de voir sur place s’il y avait des alternatives. Dans le pire cas, il allait espérer que la météo soit assez clémente pour le laisser observer le décollage depuis la ville à l’entrée du cosmodrome, située à quelques 40 kilomètres du pas de lancement. Il avait cartographié l’entièreté de la région et était de toute évidence bien préparé. Le risque d’échec était tout de même élevé, mais il était d’avis qu’il fallait au moins le tenter, car l’on est pas au Kazakhstan tous les quatre matins. Complètement d’accord… Après en avoir discuté avec Audrey pendant le repas du midi, nous avons décidé de nous aussi aller tenter notre chance et avons offert à Aurélien une place dans la Golf, chose à laquelle il a répondu un: “Ah ben carrément!”

Dans le Bazar Vert

N’ayant pas terminé la remise à niveau de la voiture lorsque nous étions à Astana, j’ai obtenu de la préposée de l’hostel des directions vers un marché aux puces de la mécanique similaire à celui de la capital. Avant d’y aller par contre, passage au Bazar Vert, un immense marché où il se trouve d’absolument tout à très bas prix et selon le guide un bon endroit pour tenter le lait de chamelle et de jument fermentés. Après avoir arpenté tout le complexe, nous sommes finalement tombés sur le petit stand qui vendait de ces produits. J’ai été plutôt hésitant, mais finalement, je me suis convaincu qu’il fallait tenter l’expérience. La vendeuse, habituée des touristes venant goûter de ces délices des steppes, nous a gentiment donné un petit fond de lait de chamelle.

Je goûte : c’est absolument infecte. Une sorte de jus de fromage chèvre périmé et beaucoup trop amer avec un fond de pétillant. Vient ensuite le lait de jument, encore là je goûte : même saveur que le précédent produit avec un distinct arôme de vômi en superposition. Je regoûte au lait de chamelle, tout d’un coup c’est un peu mieux. Audrey partage pleinement mon avis et a même avoué avoir eu une pensée nostalgique de sa soupe au kvac. Pendant que nous expérimentions avec ces produits du terroir, deux Kazakhes sont passés, ont promptement commandé un bon bol de lait et l’ont descendu sans même prendre le temps de respirer. Le lait de chamelle/jument est un goût acquis, c’est certain. Cependant, moi qui normalement adore fromages bleus, kimchis et autres trucs qui sortent de l’ordinaire, c’était hors de ma ligue.

Une fois arrivés au marché automobile (de l’autre côté de la ville), nous nous sommes arrêtés au premier garage pour obtenir un estimé. Son propriétaire parlait un bon anglais et nous a fait une offre raisonnable pour poser nos plaquettes (8$). Pendant qu’on travaillait sur la voiture, lui et moi avons discuté de plusieurs choses. C’était un Kazakhe bien nantis qui pouvait se permettre d’aller en Europe plusieurs fois par année. Il se décrivait comme heureux de vivre à Almaty, mais pestait contre la corruption, qui lui coûtait des centaines de tengues par jour. Des fois, c’était la police qui passait, d’autre fois l’inspecteur municipal, parfois les pompiers… tout le monde passait prendre sa petite cote. Inspectant en même temps notre voiture, il nous a évidemment questionné sur ce que nous comptions en faire. En apprenant que nous allions la vendre au Kirghizistan, il m’a avoué que nous allions obtenir un bien meilleur prix à Almaty et que ce genre de véhicule pouvait aller chercher 4000$US. Même lui était prêt à nous la prendre, alors il m’a demandé de lui donner un montant et pour l’exercice je lui ai sorti 3000 $US. Il m’a regardé d’un air étonné et m’a donné ses coordonnées. Comme l’importation de voitures est un casse-tête au Kazakhstan, il comptait la revendre en pièces détachées, mais cela nous importait peu. Imaginez, 3000$US pour une voiture qui nous a coûté 1100 Euros; nous allions non seulement récupérer notre investissement initial, mais allions en dégager un solide profit qui allait peut-être même payer essence et entretien. Il se peut que ce soit trop beau pour être vrai, alors je vais garder ma joie pour le moment où nous aurons une liasse de billets entre le mains. Les plaquettes posées et la voiture sortie du garage, Audrey et moi avons fait le tour du marché à la recherche d’un pneu pour finalement décider de laisser celui en place même s’il était très usé.

De retour dans notre quartier, j’ai tenté de réparer le problème de ralenti au démarrage, opéré une rotation des pneus pour en décommisionner un qui était vraiment, vraiment très usé et ai réorganisé un peu l’intérieur de l’auto. Sur la place d’à côté il se donnait un concert de musique folklorique alors aussitôt le repas (de cafétéria) terminé, nous nous sommes postés pendant une heure pour écouter deux orchestres Kazakhes interpréter de la musique nationale, mais aussi des airs plus occidentaux. Par la suite, j’ai travaillé un peu. Un peu je dis, car j’ai passé un bon deux heures à tenter de me renseigner sur l’observation d’un lancement à Baïkonour. Après m’être familiarisé avec le cosmodrome et la zone alentours, j’ai pu déduire que le décollage allait se faire vers le nord-est, car c’est l’orbite que suivait la Station Spatiale Internationale. Du reste, aucune autre information utile à part ce qui est donné par la canaux officiels, impossible de trouver un blogue ou un article de forum relatant l’expérience d’un voyageur ayant tenter de le faire de l’extérieur et sans permis. De nouveau nous avons prit un verre avec Aurélien qui rentrait d’une soirée avec des connaissances Kazakhes et c’en était de la journée.

Au matin, j’ai appris que Sven, un allemand rencontré à Astana se dirigeait lui aussi à Baïkonour. Nous allions donc être un beau petit contingent. La veille, nous n’avions pas pu faire réaligner la voiture, car le garage fermait bientôt. Nous sommes donc revenus au même endroit. Depuis sa nouvelle suspension, la Golf tirait de la droite et je soupçonnais que le désalignement était à l’origine de l’usure carrément exagérée des pneus avant. L’intervention allait certainement corriger la trajectoire et peut-être nous permettre de finir le voyage sur les pneus que nous possédions. En tout cas, pour 12$ ça valait de coup.

Almaty est verdoyante

Une fois de retour, Audrey et moi sommes sortis prendre une marche (nous quittions demain, il fallait tout de même visiter un peu de ville) pour revenir à bord du métro tout neuf d’Almaty (évidemment construit à l’image de celui de Moscou) et rencontrer Aurélien pour aller prendre un verre. Un bar, un kébab, un autre bar et après des bières dans un parc, la soirée s’est terminée sur fond d’exercice comparatif entre les démocraties canadiennes et françaises. Au retour à l’hostel pour un dernier verre, nous y avons intercepté Bruno, un flamand qui aurait pu être de bonne compagnie, mais qui à l’heure qu’il était beaucoup trop ivre pour que l’on puisse extirper quoi que ce soit d’intelligent de lui.

La cafétéria kazakhe

La cafétéria Kazakhe est un concept de restauration rapide où à peu de frais (2 à 3$ par personne) l’on peut manger de bons plats locaux frais cuisinés. Comme dans une cafétéria conventionnelle, on commence par se saisir d’ustensiles (cuillère et fourchette, il n’y a jamais de couteaux) et d’un plateau puis l’on défile devait les plats disposés dans un présentoir. Au menu: plov (riz frit ouzbek), laghman (nouilles et soupe), mantis (gros dumplings), pâtisseries à la viande, plats en sauce, soupes, salades et bien plus.

Très pratique pour un touriste non initié à la cuisine locale d’être capable de voir ce qu’il s’apprête à manger. On pointe ce que l’on veut et l’employé nous en sert une portion (souvent pesée) et réchauffe le tout au micro-onde. Ensuite, on passe à la caisse puis l’on va s’asseoir avec notre plateau. Une fois le repas consommé, on laisse notre bordel sur la table (ne vous avisez pas de rapporter le plateau comme on le ferait chez nous, on va vous regarder avec des gros yeux) et un employé le ramassera plus tard.

Détail d’importance: bon nombre de ces cafétérias sont ouvertes 24/24, on peut donc à toute heure de la journée aller savourer son plat kazakhe préféré. Tellement pratique et bon marché qu’Audrey et moi y mangeons à pratiquement chaque repas. Vraiment, des ingrédients achetés au supermarché et cuisinés nous même coûteraient presque autant, alors pour un dollar de plus, nous préférons mille-fois aller profiter des classiques de la gastronomie locale préparés par des pros.

Est-ce que l’invention du concept revient aux Kazakhes, nous ne pensons pas. L’Ukraine avait quelque chose de très semblable et la Russie aussi. Peut-être alors est-ce un concept hérité de l’ère soviétique. Qu’importe, chez les Kazakhes, la cafétéria parait davantage s’être hissée au rang d’institution qu’ailleurs. Dans un pays ou pullulent cafés et restaurants rapides à l’occidentale, nous sommes très heureux de voir que la bonne cuisine nationale a toujours la cote.