Voilà la conclusion de cette cinquième aventure sur deux roues motorisées et contrairement aux autres effectuées en solitudes, j’étais pour celle-ci accompagné d’Audrey. Verdict? Pas vraiment de meilleure manière d’explorer l’Inde que de se balader entre vaches et villages sur de petites routes. Entre ses mégapoles modernes, le pays est d’une ruralité surprenante et l’on s’y sent souvent transporté (en arrière) dans le temps. Contrée désertique à l’image de l’Asie Centrale, le Rajasthan ne nous a donc pas offert de paysages bien nouveaux, mais par endroit, il était d’une rare beauté, surtout en fin de journée. Ses forts et ses petits lieux sacrés laissés à l’abandon avaient certainement de quoi à contribuer à l’atmosphère aussi. Contrairement à nos attentes, les routes indiennes sont généralement de très bonnes qualité et vides, le défi de conduite reste gérable. Oui, les villes sont chaotiques à l’extrême, mais vu la lenteur du trafic, il y a de la marge d’erreur (une chance pour les Indiens!) Audrey quant à elle, anxieuse à l’idée de conduire deux roues en Inde, s’en est sortie comme une chef et peut se considérer maintenant largement plus aguerrie que la moyenne du motard canadien, qui dans toute sa carrière n’aura probablement pas à faire face à la moitié de ce à quoi les routes indiennes nous ont confronté.
Au total, c’est approximativement 2500 kilomètres que nous avons parcouru dans le seul état du Rajasthan. En 17 jours, la moyenne a été plutôt basse, mais ayant pris le loisir passer plus de temps dans les endroits qui nous plaisaient, de petites motos et la difficulté des routes, c’était amplement suffisant. Concernant nos Bajaj CT100B, rien de négatif à dire. Elles étaient neuves (une chance!), relativement confortables, faciles à manœuvrer et fournissaient amplement d’espace de stockage. Autrement, c’était des motos très bon marché, très économes et je n’hésiterai pas à en louer à nouveau advenant l’opportunité. L’opportunité il y aura probablement, car nous nous dirigerons vers l’est du pays pour aller visiter le Sikkim, le Darjeeling et les états enclavés entre le Bangladesh et le Myanmar.
Pour ce dernier jour de moto, je me suis heureusement levé en bonne forme (quoi que pas encore à 100%). Rien de trop difficile comme trajet sauf une bonne partie d’autoroute à partager avec les camions indiens, moins débiles que les autobus mais tout de même redoutables. Aux abords de Jaipur, nous avons pris un détour par des routes plus mineures afin de profiter à une dernière reprise de la campagne du Rajasthan. À Jaipur même, la ville d’où nous sommes partis, le trafic s’est densifié, peut-être même davantage que lorsque nous l’avons quitté il y a plus de deux semaines, mais tous deux maintenant très aguerris, il n’en a rien été. Bien dans les temps, les deux motos on été rendues à l’agence de location. Immensément fiers d’avoir complété cette aventure, c’est en tuk-tuk que nous nous sommes rendus jusqu’à l’auberge, pas fâchés de refaire partie des voyageurs en transport en commun.
Pushkar est un lieu saint qu’en théorie chaque hindou se devrait de visiter au moins un fois dans sa vie. C’est aussi la mecque du Baba-Coolisme ou des hordes de voyageurs habillés en pantalons amples et aux cheveux décorés passent leur journées à se prélasser dans la complaisance de leur style de vie “alternatif” sous les douces effluves de la marijuana. De tous les endroits sacrés en Inde, Audrey et moi ne comprenons toujours pas pourquoi Pushkar a été à ce point envahie d’occidentaux sur la dérape, de boutiques d’accessoires et de vêtements hippies et de restos israéliens (ouvrez vos horizons culinaires bordel!) Ça jure énormément avec le sacré de l’endroit.
Après une dure journée de conduite donc, c’est à un resto de touristes que nous avons choisi de souper. Ayant un peu marre de la cuisine indienne, certes végétarienne, mais ô combien peu santé (du gras et des féculents essentiellement), nous avions le goût de pizza. Bien remplis par un copieux repas, nous avons terminés la soirée en marchant sur les ghats du lac de Pushkar (quais en escaliers faits pour se baigner).
Moi qui me nourrit de quantités absurdes de bouffe de rue, il a fallu que ce soit un restaurant de touriste qui me refile une intoxication alimentaire. J’ai donc passé une bonne partie de la nuit aux toilettes et suis resté couché jusqu’en milieu d’après-midi, aux bon soins d’Audrey. Éventuellement, j’ai réussi à reprendre assez de mieux pour aller faire un petit tour de Pushkar, soit grimper jusqu’à je ne sais quel temple surplombant la ville et aller en visiter un autre dédié à Brahma. Pour le reste de la soirée, nous nous sommes évidemment tenus tranquilles. Personnellement, je ne suis pas trop fâché d’avoir vu si peu de Pushkar, l’ambiance lors de fêtes hindoues doit y être électrisante, mais en temps normal, ça fait plutôt Thaïlande.
Avant dernier leg de notre aventure et ce n’est pas plus mal, il faut dire que la route au Rajasthan commence se faire un peu monotone, le paysage est surtout plat et d’un village à l’autre, les choses commencent à se ressembler. Histoire de pimenter un peu la journée, je me suis amusé à faire l’ascension d’un chateau d’eau dans un village perdu. Étant donné la sécheresse qui règne dans la région, ils sont légions dans le paysage du Rajasthan et tous accessibles par des marches.
La première partie du trajet s’est effectuée par les petites routes, mais pour la deuxième, pas d’autre choix que de passer par un axe majeure qu’il a fallu partager avec les camions et les autobus (aussi cinglés ici qu’ailleurs). Les choses ont vraiment commencé à se corser lors de notre arrivée en pleine heure de pointe à Ajmer, une ville de bonne taille. Pour Audrey, le niveau de difficulté a grimpé de quelques crans, tout comme le stress. Naviguer le trafic Indien demande une bonne maîtrise de sa moto, d’être extrêmement attentif à ses alentours et de prévoir au maximum la survenue d’obstacles et de situations problématiques. Tout le contraire des Indiens, qui ne se soucient que de ce qui se trouve dans leur champ visuel immédiat (la plupart n’ont pas de rétroviseurs). D’ailleurs, nous avons croisé pas moins de trois accidents mineurs lors de notre traversée de la ville. Le dernier, il a fallu qu’Audrey évite de justesse un conducteur de moto qui venait de glisser devant elle. Je le dis et le redis, heureusement que personne ne roule vite ici. Oui, la route Indienne est dangereuse, mais nous prenons les précautions nécessaires.
Il est toutefois intéressant de noter à quel point la circulation est quand même fluide en Inde et ce malgré le chaos. Le trafic est principalement composé de motos et vu l’absence de toute signalisation, on ralentit, mais l’on ne s’arrête que peu. L’ajout de feux entraînerait probablement des bouchons monstres. Pourrions-nous appliquer la même recette à nos routes? Certainement pas, nous roulons beaucoup trop vite et conduisons pour la plupart des voitures. De plus, ceux qui pâtissent le plus de cette absence de règles sont évidemment les piétons. En Inde, personne ne s’arrête, il faut se frayer un chemin parmi les véhicules en mouvement. L’ordre des priorités routières est l’inverse du nôtre, camions et autobus en tête de file et piétons en dernier.
Bundi, c’est le Rajasthan hors circuit. Tout le charme et la splendeur moins l’achalandage et le harcèlement. Même sans avoir mis les pieds en ville, nous n’avons eu aucune difficulté à accepter ces propos de notre guide. De la terrasse de notre hôtel (le meilleur à ce jour), en sirotant notre bière, nous avions vue sur le palais, le fort, un bâoli (puits en escalier) et la vielle ville toute colorée. En bonus, le tintamarre des temples hindous mêlés aux appels à la prière des multiples mosquées résonnant dans la vallée. Ayant déjà consommés quelques bières, nous nous sommes limités à ce spectacle pour la fin de la journée.
Au lever, déjeuner, travail puis visite. Premier arrêt, le marché, car Audrey voulait y trouver des cadeaux typiques du Rajasthan. Au même endroit se trouvaient trois autres bâolis. Le premier, nommé Rani Ji Ki, était très décoré, mais étant un site gouvernemental, largement clôturé et aseptisé. Les deux autres puits par contre (Nagar Sagar Kund), entièrement laissés à l’abandon (et donc extrêmement souillés), étaient accessibles dans leur entièreté. Spectaculaires en raison de leur profondeur dépassant les 30 mètres, j’ai réussi malgré les immondices à en rejoindre le fond pour y prendre de spectaculaires photos.
Par la suite, nous nous sommes dirigés vers rien d’autre que l’immense palais/forteresse de Bundi. Il était déjà un peu tard à notre arrivée, donc nous avons donné priorité au fort de Taragarh, bâti en hauteur du palais sur la colline. Passé la porte d’entrée, c’est un immense complexe de bâtiments laissés à l’abandon depuis des décennies qui s’est ouvert à nous. Le terrain de jeu parfait pour une belle promenade, bien des découvertes et une vue imprenable . La lumière tombait lorsque nous nous sommes finalement décidés à quitter cet endroit magique. Malheureusement, le palais venait de fermer ses portes.
Comme nous allions dépasser le kilométrage alloués par nos locations de motos, j’ai appelé la compagnie afin de rallonger notre périple. Notre trajet ne nous permettait que deux jours à Bundi, mais compte-tenu de l’extension, nous avons pu rallonger notre séjour d’une journée, à notre grand bonheur. Étant donné que nous n’avions pu voir le palais la veille, c’est naturellement là que nous avons entamé la visite. À l’image du fort, le palais n’avait pas été restauré ni entretenu pendant bien des années, conséquemment la majeure partie était fermée au public, car principalement habitée de chauves-souris. Par tous les moyens possibles, j’ai tenté d’y avoir accès mais en vain. Autrement, le peu de touristes et le coup d’oeil surprenant sur le vieux Bundi en contrebas en valait vraiment la peine.
Par la suite, c’est vers un lac non loin que nous nous sommes dirigés; apparemment bucolique et bordé de quelques petits temples et autres attractions. Deux blancs marchant sur le bord d’une route plutôt passante, ça l’attire l’attention, alors nous ne nous sommes pas trop éternisés dans le coin. Vu qu’il paraissait possible de revenir par l’autre côté de plan d’eau, nous avons bifurqué vers ce qui semblait être un chemin le contournant.
Malheureusement, ce dernier nous a mené droit vers un marais. Idem pour les deux tentatives ultérieures jusqu’à ce que finalement, nous parvenions à la réelle fin du lac et nous engagions pour la marche de retour sur de petits sentiers tracés par les vaches et les chèvres, finissant dans une zone apparemment contrôlée par la police, vu la quantité rencontrée sur le chemin. À nouveau en ville, nous en avons profité pour nous restaurer de quelques assiettées de bouffe de rue pendant qu’un petit cordonnier de trottoir réparait mes bottes, depuis longtemps défoncées par tant de marche.
De l’autre côté de la vallée, sur la colline opposée au palais, se dressait un petit cénotaphe et un reste de fortification. Histoire de profiter une dernière fois du magnifique panorama offert par l’endroit, je l’ai escaladé en vitesse afin d’arriver à temps pour le coucher du soleil. Décidément, Bundi avait tout pour plaire; loin du circuit, authentique et pittoresque. Et de dire qu’il s’est fallu de peu pour que nous n’y passions même pas; nous aurions manqué la plus belle ville du Rajasthan et de l’Inde (jusqu’à maintenant).