Route : pourrie puis excellente 30 kilomètres passés Kalaikoul
Ce matin là, Hippolyte à l’aide de ses jumelles à réussi à apercevoir deux femmes en burqa bleu pâle. Côtoyer les Afghans de si près sans pouvoir aller interagir avec eux nous faisait l’effet d’un zoo. C’était tout de même frappant de constater que de l’autre côté de la rivière se déroulait un quotidien aux antipodes du nôtre.
Audrey et moi avions bon espoir de pouvoir rejoindre Dushanbé en soirée. Il n’en a pas été ainsi. Premièrement, on s’est fait un déjeuner de luxe. Après, j’ai profité des talents de Dorian en mécanique pour qu’il m’aide à fixer une fois pour toute le silencieux et investiguer le problème de ralenti à froid et troisièmement, on a embarqué une Tadjike qui nous faisait arrêter partout pour ramasser des courses et faire la jasette à des connaissances.
Une fois arrivés à Kalaikoul, il était évident que nous n’allions jamais rejoindre la capitale ce soir. On a donc fait les courses et reprit la route. 30 kilomètres passés la ville, la route s’est soudainement changée en asphalte neuve (il paraît que c’était là que ce situait la retraite du président). Cependant, pas moyen de trouver un site potable. Quand finalement nous sommes tombés sur un endroit adéquat, les militaires sont venus gâcher la fête. L’emplacement suivant s’est avéré être une caserne militaire à proprement dit (Audrey, Olivier et Hippolyte s’en sont rendus compte en étant réceptionnés par le bruit des fusils qui s’arment). Éventuellement, il nous a fallu nous contenter d’un petit lopin rocailleurs près de la route. Qu’importe, nous étions en bonne compagnie.
Surprenament le tronçon Khorog – Dushanbe, le plus fréquenté de la route du Pamir, est aussi le pire. Les 4×4 collectifs sont capables de couvrir la distance en un peu plus de 15 heures. En ce qui nous concerne, il nous en faudra bien plus, car nous moyennons à peu près 20 km/h. La route est une alternance de gros gravier et de restes d’asphalte sur fond de nids-de-poule. Par chance, le coup d’oeil a l’avantage d’être spectaculaire, et l’on circule réellement à flanc de falaise avec comme panorama d’imposants pics, de pittoresques villages afghans et tadjikes. Du côté afghan d’ailleurs serpente une route tout aussi sinon plus escarpée, mis à part qu’il ne circule presque pas de camions et d’autos, mais surtout des ânes, des troupeaux, des motos et des piétons.
Un peu avant l’heure du dîner, nous avons été invités à visiter une toute nouvelle caserne militaire tadjike par un soldat que les français ont ramassé sur le pouce. Construite par les Chinois et probablement à leur frais, j’imagine qu’elle servira à sécuriser cette nouvelle « Route de la soie » qui est en train de s’installer dans la région. Peu après, alors qu’Audrey et moi nous sommes stoppés pour nous faire à manger, cinq enfants sont sortis d’une maison que nous croyions abandonnées pour nous offrir des pommes. Justement, nous avions achetés à Osh cahiers d’école et crayons pour ce genre d’occasion, alors nous ne sommes pas faits prier pour leur en distribuer à chacun. Ceux-ci sont repartis, puis sont revenus à la charge avec un bol de yogourt de chèvre. Aussitôt, nous avons répliqués avec pain, choux et autres restes de nourritures. C’est là que l’échange s’est conclu. Lorsque nous sommes repartis, la mère est sortie nous pour nous envoyer la main. Les Tadjikes sont de loin les gens les plus généreux qu’il m’ait été donné de côtoyer.
Quelques heures plus tard, nous sommes tombés sur ce qui allait être le plus beau site de camping du voyage. Perchés sur une sorte de promontoire à l’extérieur d’un virage, nous avions une vue spectaculaire de l’autre côté de la rivière sur un village afghan niché entre deux montagnes. Franchement, l’endroit était aussi prenant que le haut de la forteresse de Kotor au Montenegro. Rejoints par les Français et leur camion EDF une petite demi-heure plus tard, nous avons à nouveau partagé un repas et une soirée. Plus tard alors qu’Audrey était partie dormir, la lune à finalement fait son apparition et nous a permit de prendre de belles photos de la vallée de nuit.
Somme toute, la nuit passée dehors par un huit degrés pluvieux s’est avérée plutôt confortable, car notre hôte avait pris soin de nous fournir pas moins de 4 grosses couvertures. Au réveil, tout le monde était évidemment un peu amoché, mais cela ne nous a pas empêché de nous faire un bon petit déjeuner (et de remplacer le pneu de la Golf dont la réparation avec encore lâché). Vers midi, Sven et sa copine croisent notre campement par pur hasard et s’arrêtent pour un café. Bref, on l’a pris vraiment relax et ce n’est que vers les deux heures que finalement les au revoir se sont distribués et que nos chemins se sont séparés : eux vers le Wakhan, nous vers Douchanbé. Audrey et moi aurions adoré partager davantage de moment avec ce groupe extraordinaire, mais malheureusement, ils voyageaient en sens contraire.
Après un court passage à Khorog pour nous ravitailler et tenter à nouveau (sans succès) de retirer de l’argent. Vu l’heure tardive et la tombée du jour qui s’approchait, nous n’allions décidément pas nous rendre très loin. Qu’importe, il nous fallait prendre de l’avance le plus possible, car la route Dushanbe – Khorog allait bien nous prendre quelques jours. Un peu après la ville, apercevant un camion aux couleurs de l’EDF (Électricité de France) ainsi qu’un cycliste en processus d’installation de campement, nous avons décidé de les joindre pour la nuit.
Les roads-trips en Asie-Centrale semblent avoir cette particularité de n’intéresser que les personnalités formidables. Non pas qu’ils attirent certains types particuliers, mais toutes les personnes rencontrées auront au moins de l’audace, de l’ouverture d’esprit, le goût de l’aventure et une richesse personnelle hors du commun. À l’image de la soirée précédente donc, nous avons partagé un autre excellent moment en compagnie de Sara, une Danoise sur son vélo depuis deux ans et Dorian, Olivier et Hippolyte, trois Français revenant du Yakutsk (l’extrême-est de la Russie) (en fait, Hippolyte revenait de Chine avec son vélo et s’est joint à eux au Kazakhstan).
Au lever, le vent s’était calmé et nous avons pu démonter le campement et prendre le café tranquilles en compagnie d’un troupeau de chèvres et de moutons non loin. La veille, nous avions passé le point de départ d’une randonnée intéressante à l’intérieur de la gorge de Darshaï. Ne disposant pas d’assez de temps, on l’avait remis au lendemain. Apparemment, elle passait par un endroit si escarpé que le sentier de pierre avait été « cousu » à la paroi (appelé owring). Par la suite, le sentier atteignait une vallée avec un camp de yourtes habité par les bergers l’été et les chasseurs en hiver. Nous nous étions donnés comme objectif ce segment particulier, que nous avons atteint assez rapidement malgré un départ difficile, car le sentier n’était pas balisé. Avec un dénivelé d’un bon 800m, l’aller et le retour on été plutôt sportifs et acrobates, car certaines portions avaient été emportées par des éboulis. Le spectacle alentour en valait vraiment la peine par contre.
Redescendus à la voiture vers 15h30, il nous restait plusieurs heures avant d’arriver à Khorog et de toute évidence, cela allait se faire de nuit. Qu’importe, nous connaissions déjà la route. Un peu avant que la dernière lumière disparaisse, on croise un convoi de 4×4 français arrêtés en bord de route. Je décide de stopper la Golf pour leur souhaiter le bonjour et leur demander quel bon vent les amène par de telles contrées. Ils sont trois véhicules, et se rendent en Chine en passant par le Pamir pour faire parti d’un convoi de 10 véhicules qui traversera ce pays. Étonnés, Audrey et moi leur confient que nous avons rencontrés deux autres véhicules du même convoi. L’un avant-hier à Ishkashim et l’autre à Aralsk au Kazakhstan. Eux-aussi contents de rencontrer des compatriotes (du moins pour la Golf), ils nous invitent à passer la soirée avec eux, ce que nous acceptons aussitôt. Tant pis pour la douche à Khorog.
Au moment où nous les avons croisés, il venaient de se faire jeter dehors d’un campement par les militaires et en avaient identifié un autre non loin. Arrivés-là, même histoire, d’autres militaires nous interceptent et nous informent qu’ils ont reçus l’ordre formel de ne pas laisser de touristes camper le long de la frontière afghane, car l’année dernière, il y aurait eu des tirs en direction du côté tadjike. Ce sans oublier que de par et d’autre, la frontière est encore minée. Par chance, Hugo, l’un des Français du convoi, avais apprit le Farsi lors de plusieurs missions humanitaires en Afghanistan et pouvait communiquer en Tadjike, langue très proche.
À l’aide d’une carte, les militaires nous dirigent vers un autre endroit à l’intérieur de la montagne où nous serons en sécurité. Arrivés sur place par contre, l’un des 4×4 est incapable de monter la côte pour s’y rendre en raison d’un blocage de différentiel défectueux (la Golf aurait passé, j’en suis certain). À la blague peut-être, un militaire avait lancé la possibilité que nous campions sur la base. Sans autres alternatives, nous nous rendons-là voir si vraiment on nous offrirait le gîte. Sans trop de surprise, le commandant du détachement refuse que nous entrions sur le site et nous renvoie à Khorog dans un hotel. À ce moment passe un Tadjike conduisant un vieux camion Kamaz. Il s’arrête et nous propose de le suivre jusque chez lui à deux cents mètres de là. Une fois le camion redémarré (à la manivelle), j’embarque avec lui et l’on se dirige vers l’endroit qu’il nous propose.
Un petit lopin de boue à l’intersection entre deux routes, on aura vu mieux, mais compte-tenu de l’heure, ça fera. Pendant que les autres installent leurs 4×4 pour la nuit, Audrey et moi négocions un espace pour poser notre tente sur le terrain de notre hôte bien que celui-ci tient à tout prix à ce que nous dormions dans sa maison. Les Tadjikes (et certainement les autres peuples de l’Asie Centrale) sont complètement étrangers au concept du camping et sont systématiquement frappés de stupeur lorsqu’on leur confie que nous prenons plaisir à dormir dehors. À force de négociations, tous les partis sont arrivés à un compromis : on va nous installer un lit sur la terrasse couverte.
Il pleuvait, mais la bâche a été vite dressée au-dessus de la table à dîner et jusqu’au petites heures, nous avons festoyé à la bière, au vin, au whisky et à la vodka, car c’était l’anniversaire d’un des Français du convoi. Notre hôte s’est bien entendu mérité autant de verres qu’il le désirait et ne nous a quitté que lorsque sa mère est venu le chercher (il avait 30 ans [en faisait 40] et vivait avec sa sœur et sa mère). Aussi de la fête, un vieux Tadjike édenté et déjà bien imbibé lorsqu’il s’était joint à nous; visiblement l’ivrogne du village. Chacun avait d’étonnantes histoires à conter et tous étaient partis de France pour un périple de longue haleine, un couple vers le Japon, deux amis vers Singapour et le dernier couple en Asie du Sud-Est. Tous avec d’énormes 4×4, outillés jusqu’au compresseur intégré, avec tentes de toit, cuisinettes, douches et bien plus; ils avaient tout de même beaucoup de respect pour nous, qui jusqu’à maintenant avions accomplis le même périple qu’eux et même fait le Pamir (ils s’y dirigeaient) avec une Golf et du petit équipement de camping amateur.
Route : affreuse mais praticable, parfois passable
La vallée du Wakhan, en plus de ses beaux coups d’oeil, possède quelques attractions valant le détour. Nous désirions en visiter quelques-unes ce jour là. Premier arrêt, la forteresse Khaakha, agée de plus de deux millénaires. En vertu de sa position sur un promontoire donnant une bonne vue de la vallée, l’armée tadjike y avait installé un poste d’observation. On peut donc dire que la forteresse, même après tous ces siècles, occupe encore un rôle militaire. D’ailleurs, l’emplacement stratégique de la vallée du Wakhan a fait d’elle une frontière pour plus d’un empire et pays. C’est pourquoi elle est encore très surveillée et fréquemment, l’on croise bases militaires et patrouilles tadjikes.
À nouveau en route vers le creux de la vallée, il nous a fallu un bon moment de routes dégueulasses avant d’atteindre l’embranchement vers notre deuxième attraction, une autre forteresse (le fort de Yamchoun) et non loin les sources sacrées de Bibi-Fatima. Cependant, il nous fallait encore monter un bon huit kilomètres de pistes avant de les atteindre. Hésitant plusieurs fois à poursuivre en raison de la difficulté du chemin, la Golf s’est toutefois montrées très capable de se rendre jusqu’en haut et ce malgré le fait que la piste était conçue pour des 4×4. Après avoir profité d’un dîner tardif, nous sommes dirigés vers le fort. Bien plus élevée que la précédente forteresse, il offrait une vue des plus impressionnantes sur la vallée en contre-bas et les montagnes afghanes. En fait, la dernière fois qu’il m’avait été donné de profiter de paysages aussi splendides, c’était en visitant d’autres fortifications, celles de Kotor au Monténégro.
Les sources ne furent pas aussi agréable, du moins en ce qui concernait le côté masculin qui puait l’homme à l’hygiène déficiente et où à la surface de l’eau l’on pouvait apercevoir un léger film de souillures. Au moins, mes compagnons de bains étaient sympathiques et curieux envers ma présence dans un coin si reculé de leur pays. Audrey, de son côté, semblait avoir davantage apprécié l’expérience. Et dire que c’était moi qui lui avait vendu la chose…
Il était relativement tard lorsque nous sommes sortis des sources et il restait tout juste assez de lumière pour rouler un peu et nous trouver un coin où poser notre tente. La chose n’a pas été une mince affaire, mais finalement un endroit propice en surplomb de la route et à l’abri des regards s’est présenté in extremis. La météo en montagne étant ce qu’elle est (imprévisible et changeante), nous avions tout terminé de cuisiner le repas qu’un solide vent s’est levé et nous a obligé à passer le reste de soirée à l’intérieur de la Golf.