Alors que nous étions encore à Lucknow, Hugo avait formulé le désir d’utiliser les quelques jours de plus qu’il disposait en Inde pour aller voir de la montagne. C’est le Cachemire que nous avons investigué en premier lieu, mais trop tôt dans la saison, les températures y étaient encore sous le point de congélation. À la suggestion d’un Indien, nous nous sommes rabattus vers McLeod Ganj dans l’Himachal Pradesh, plus au sud, pas aussi haut, mais en contrefort de l’Himalaya. Il s’adonne aussi que McLeod Ganj est aussi la résidence du Dalai Lama, le siège du gouvernement tibétain en exil et une région où l’on retrouve une importante communauté tibétaine, fait qui n’a pas manqué d’attiser notre curiosité sur l’endroit.
Débarqués sur place, le choc fut immédiat: de l’air frais et exempt de pollution, le silence, la propreté, un panorama grandiose. Le contraste avec Delhi aurait difficilement pu être plus fort. Après une bonne sieste, nous sommes donc partis explorer une chute et les villages avoisinants, dont l’un d’entre eux n’était essentiellement accessible qu’à pied (donc pas de voitures). L’endroit, bien que touristique, respirait la tranquillité et l’air pur.
Le lendemain, randonnée au sommet du mont le plus proche. Malheureusement pour nous, le temps était nuageux, mais l’atmosphère qui se dégage d’une montagne dans le brouillard a quand même de quoi plaire. Comme au Népal, les caravanes d’ânes étaient nombreuses sur le chemin. Plus téméraires que le reste des grimpeurs, nous avons entrepris de revenir au village par l’autre côté afin d’effectuer une boucle plutôt que de revenir sur nos pas. Ce détour n’aura pas déçu, débutant sur une crête, il s’est terminé par de beaux panoramas de la vallée en contre-bas.
Le dernier jour, nous avons concentré nos explorations dans McLeod Ganj même et spécialement autour de l’espèce de complexe faisant office de résidence au Dalai Lama. Naturellement, il ne nous a pas été possible de rencontrer ce dernier, mais de ses disciples, des moines, il y en avait en abondance autour de nous, tout comme des touristes indiens. Par rapport à d’autres temples bouddhistes visités dans le passé, l’endroit était quand même assez austère, mais ça nous a changé de notre quotidien hindou des dernières semaines. En discutant dans l’attente de notre bus de nuit, tous trois étions unanimes, nous aurions volontiers étirés notre temps ici. Hugo a même affirmé que c’était la partie de son voyage en Inde qu’il avait préféré. Ce qui n’a rien de surprenant, vu que l’Inde, on la subit plus qu’on en profite. Heureusement, il existe des endroits dans ce pays frénétique ou il est encore possible de souffler, comme cette petite enclave bouddhiste dans laquelle nous avons passé un si bon moment.
Retour à la capitale afin d’y laisser un de nos compagnons de voyage. Ceci dit, son départ n’était pas avant le lendemain, alors nous disposions de suffisamment de temps pour effectuer quelques activités de dernière minute. Audrey et moi avions aussi comme mission de récupérer nos passeports à l’ambassade du Bangladesh. Pas trop amochés par le trajet d’autobus depuis Lucknow, nous nous avons pu explorer le vieux Delhi afin de découvrir ses marchés et acheter quelques souvenirs avant l’enregistrement à notre auberge.
En après-midi, direction ambassade pour Audrey et moi. Théoriquement, le processus devait être rapide. On se présente à l’heure convenue, on remet un reçu et l’on récupère notre passeport. Évidemment, il n’en a pas été ainsi et au bout de 4 heures d’attente, le personnel nous a instruit de revenir le lendemain matin. Classique… Largement en retard au rendez-vous que nous avions donné à Hugo et Hélène, il nous a fallu ventiler notre frustration pendant un bon moment avant d’être en mesure de profiter du reste de la soirée, laquelle s’est déroulé dans un piano-bar très huppé du sud de la ville. L’écart entre riches et pauvres en Inde est très flagrant et particulièrement à Delhi. Certains quartiers fréquentés par les fortunés, quoique bien souvent clôturés et protégés par des gardes sécurité, n’ont rien à envier à New York alors qu’à l’extérieur la misère reste omniprésente. Encore une fois, c’est l’Inde dans toute sa diversité.
Le lendemain, vu qu’il fallait retourner à l’ambassade chercher nos passeports, je me suis gentiment porté volontaire pour l’expédition afin de donner à Audrey la chance de profiter de ses dernières heures avec son amie qui quittait en soirée. Heureusement pour nous, cette fois a été la bonne et malgré d’autres délais, j’ai pu récupérer nos documents avec en leur intérieur deux beaux visas pour le Bangladesh. De retour auprès du groupe, nous nous sommes dirigés vers le fameux Fort Rouge de Delhi. Quoi qu’il ait charmé le groupe, il m’a pour ma part déçu, car ne se comparant en rien aux forts du Rajasthan. En nous dirigeants vers notre objectif suivant, un parc où se trouvait l’endroit de la crémation du corps de Gandhi, un tuk tuk prend une courbe trop vite et se renverse juste à côté de nous. Nous accourons sur la scène afin de remettre le véhicule sur ses roues pour dégager son conducteur. Heureusement, ce dernier se relève de par lui-même et bien qu’ébranlé, n’a qu’une entaille à la main. Je sors mon kit de premier soin afin de désinfecter la plaie et la bander, donne quelques compresses de réserve au blessé puis nous nous retirons de la scène pour poursuivre notre marche.
Pour le repas du soir, un excellent kebab non loin de la mosquée puis une dernière marche parmi le vieux Delhi afin d’aller débusquer un dessert typique de l’endroit, une mangue congelée et fourrée avec le crème glacée. Revenus à l’hostel, Hélène a sauté dans un taxi en direction de l’aéroport. Son séjour en Inde, intense mais de courte durée, s’arrêtait ici. Hugo, pour sa part, disposait de quelques journées supplémentaires. Lui et Audrey en bonne partie rétablis de leur maux des derniers jours, nous nous sommes dis que nous allions prendre une bière pour fêter le tout. Après une tentative infructueuse de trouver un wine shop (c’est de cette manière que les établissements gouvernementaux se nomment) ouvert et une bataille d’arguments avec un chauffeur de rickshaw beaucoup trop avare, nous nous sommes résolus à aller nous abreuver au bar d’à côté. Celui-ci fermant trop tôt, nous nous sommes ensuite dirigés vers le centre-ville et de peine et de misère avons pu dénicher un établissement pas trop merdique. Les endroits un tant soit peu chics pour prendre un verre en Inde ont la fâcheuse habitude de servir des produits médiocres à des prix supérieurs à ceux du Canada. Manifestement, les Indiens les fréquentant n’ont aucun problème à dépenser des sommes ridicules pour y passer la soirée. En fait, cela ne se limite pas aux bars et concerne bien des restaurants, activités, hôtels, etc. Audrey et moi avons de plus en plus l’impression que débourser trop de roupies pour un produit ou un service est perçu comme une opportunité de prouver son statut.
Au réveil, Hugo et moi sommes partis acheter les billets d’autobus pour McLeod Ganj et faire réparer mon sac-à-dos. Audrey, en retard sur certains devoirs, est restée à l’auberge pour s’en enquérir. En après-midi, nous sommes ressortis visiter le secteur gouvernemental de New Delhi avec ses monuments et planification urbaine à l’anglaise. De retour à l’hostel, nous avons récupéré Audrey pour à nouveau aller se régaler de kebabs puis sommes arrivés de justesse à notre autobus de nuit.
Nos invités ne disposant de peu de temps en Inde, nous nous étions assurés que les musts soient couverts durant le séjour, c’est à dire Delhi, Agra, Varanasi. Toutefois, en aménageant un peu l’horaire, nous étions parvenus à libérer une nuit afin d’aller faire l’expérience d’une ville hors circuit: Lucknow. Bien qu’étant la capitale de l’Uttar Pradesh, Lucknow, contrairement aux endroits visités jusqu’à présent, n’était pas une ville à thème (pour reprendre un qualificatif suggéré par Audrey). Delhi est là capitale, Agra le Taj Mahal, Varanasi la spiritualité et Lucknow juste une énorme agglomération où vivent et travaillent des millions d’Indiens.
Après une nuit dans le train somme toute reposante, nous sommes allés déposer nos choses dans notre chambre puis avons quitté pour l’après-midi. Assez retardés par la quête infructueuse d’un McDonald’s, il nous a fallu nous contenter d’un Subway afin de satisfaire le désir de nos voyageurs d’aller tester les équivalents indiens de nos grosses bannières de restauration rapide. Comme à l’habitude donc, l’après-midi était bien entamé lorsque nous nous sommes mis en branle.
Comme première visite un mausolée particulièrement inintéressant. Au moins, il nous rapprochait du parc de bord de rivière que nous comptions emprunter pour attendre notre prochain objectif. Évidemment, le parc en question n’était qu’un truc à moitié fini se terminant en impasse. De retour sur les boulevards, alors que nous marchions à bon pas dans l’espoir de disposer de suffisamment de temps pour visiter un autre monument, un énorme coup de fait entendre juste à nos côtés. Une voiture est arrêtée sur la route et devant elle un tuk tuk sérieusement tordu par l’impact. Accourant de l’autre côté de la voiture, nous découvrons le chauffeur du tuk tuk couché sur le sol, sa tête sous la voiture. Sachant pertinemment que ce genre de victime a la colonne fracturée jusqu’à preuve du contraire, je me penche sous la voiture pour évaluer si elle respire. Heureusement,il y a un souffle, mais elle ne répond pas à mes paroles. Alors que je lève la tête pour m’assurer que l’ambulance avait été appelée (chose dont mes compatriotes s’étaient assurés) je croise des dizaines de regards tous penchés sur la scène.
Aussitôt je demande si l’un d’eux comprend l’anglais. Après quelques secondes, un Indien se manifeste et je lui indique de parler à la victime en hindi. Avant qu’il n’ait le temps d’obtempérer, on m’informe qu’il faut déplacer la victime. Je m’oppose, mais en vain. Hugo, Audrey et l’Indien m’aident à la tirer et la tourner en bloc pendant que je lui tiens la tête. L’Indien se décide finalement à lâcher quelques mots au malheureux (je n’ai pour ma part jamais arrêté de lui parler) qui réagit en marmonnant faiblement. La police, qui se trouvait sur les lieux depuis le début et ne foutait absolument rien, décide que finalement il faut libérer la route que c’est le chauffeur du véhicule accidenté qui amènera le blessé à l’hôpital. Encore une fois on s’oppose, tentant de faire comprendre aux gens qu’il faut impérativement immobiliser ce genre de victime avant de les déplacer. Rien n’y fait, alors on charge l’homme sur la banquette arrière du véhicule. De toute manière, personne n’avait en fait appelé d’ambulance. Pendant que je reste à ses côtés pour lui tenir la tête, Audrey embarque à l’avant. Hugo et Hélène restent sur place; ils ont un téléphone, alors on se débrouillera pour les rejoindre.
Au cours du trajet, l’homme commence à regagner conscience, réagit à ma parole et bouge tous les membres de son corps. Son haleine sent l’alcool et son oreille a été fendue par le choc, libérant un petit filet de sang. En raison d’une roue tordue par l’impact, on avance à pas de tortue. Finalement, on entre dans une cour. Je demande si c’est l’hôpital, mais personne ne parle anglais. En sortant du véhicule, je me rend compte qu’on est chez la police et qu’il faut transférer le blessé dans une autre voiture. Moins de précautions à prendre ce coup là, car la victime parvient à se tenir assise. Sur le chemin de l’hôpital, le blessé, ivre de toute évidence, s’agite de plus en plus à un point tel que je dois le garder sur son siège de force afin qu’il ne s’en prenne pas au chauffeur. Arrivés à l’entrée de l’urgence, on le sort de la voiture (laquelle disparaît de suite) et aussitôt il tente de prendre la fuite. J’ai beau faire de mon mieux pour le raisonner (sans parler sa langue), en vain, il finit par disparaître dans le paysage urbain. De retour auprès du personnel d’admission, on me dit que c’était un ivrogne et qu’il n’y avait rien à faire. Ne pouvant rien contre les multiples standards et inégalités de l’Inde, je me console en me disant que j’aurais au moins fait de mon mieux. Demandant à aller laver mes mains pleines de sang, on m’amène à un évier où il n’y a pas de savon. Vu l’impact, il est probable que la victime perdra connaissance à nouveau dans les heures suivantes pour décéder d’une hémorragie intracrânienne. Les chances sont par compte qu’elle se réveillera demain avec le pire mal de tête de sa vie, son tuk tuk en ruine et des comptes à rendre à la police. Ça, je lui souhaite de tout coeur.
Nos amis de retour auprès de nous, on remets nos chapeaux de touristes et nous rendons au Bara Imambara, un splendide mausolée dédié à un sain de l’islam. À peine arrivés sur le site que l’heure de la fermeture avait déjà sonnée. Quand même, on a disposé de suffisamment de temps pour prendre une bonne dizaine de selfies, mais pas pour profiter de l’endroit, auquel nous allions devoir revenir le lendemain à coup sûr. Après la visite d’une mosquée non loin, nous avons parcouru un énorme boulevard tout aménagé d’imposantes arches et d’espaces publics, puis nous sommes dirigés vers un restaurant de kebabs. Au préalable, il nous a tout de même fallu marcher plusieurs kilomètres pour nous y rendre, mais le repas en valait la peine. Lucknow mérite bien sa réputation de destination gastronomique.
Étant donné l’imprévu d’hier, nous sommes retournés dans le même quartier de Lucknow pour reprendre la visite. Suite à un passage par le “Residency”, un ancien complexe militaire bâti par les Britanniques durant l’ère coloniale et détruit lors de la première guerre d’indépendance, nous sommes revenus au Bara Imambara afin de l’explorer plus en détails. Beaucoup plus impressionnant de l’extérieur que de l’intérieur, les étages supérieurs du mausolée sont néanmoins très intéressants de par le fait que les bâtisseurs en ont fait un immense labyrinthe de couloirs et d’escaliers. Il nous aura fallu au-delà d’une heure pour l’explorer et finalement nous en extirper à temps pour aller visiter un bâoli sur le site puis sortir à temps pour la fermeture du monument. Après un court repassage par le grand boulevard, nous avons récidivé en nous rendant vers un autre restaurant de kebabs réputé de la ville.
Nous comptions reprendre un train de nuit vers Delhi, mais en raison de la trop grande volonté du propriétaire de notre gîte de nous aider, le processus de réservation s’est à ce point complexifié que les billets n’étaient plus disponibles lorsque finalement tous s’étaient compris sur les paramètres. Il ne nous restait d’autre option que d’acheter des places dans un autobus de nuit. Les Indiens, si serviables qu’ils sont, ont généralement tendance à rendre la tâche plus ardue lorsqu’ils vous viennent en aide, d’une part car ils formuleront des suggestions sans savoir ni comprendre ce que vous voulez vraiment,et d’autre part car ils vous enverront chez leur “ami” pour que ce processus se répète à nouveau.
Le temps venu de nous rendre à l’endroit de départ de notre autobus (les autobus de nuit partent rarement des garres), nous sommes donnés amplement de jeu afin de nous préparer aux impondérables. Et des impondérables il y a eu. Il n’y a généralement pas d’adresses en Inde, la mosaïque urbaine étant beaucoup trop complexe pour diviser le tout en cadastres. Un lieu sera donc bien souvent identifié par son nom, sa rue et/ou son quartier et à côté de quel autre endroit il se situe. La résultante est qu’il est très difficile pour quelqu’un ne connaissant pas les parages de s’y retrouver, ce qui a été le cas pour notre pauvre chauffeur de taxi, lequel a dû se renseigner auprès d’une dizaine de personnes avant de trouver l’endroit d’où quittait notre bus. Le processus ayant pris en tout et pour tout un bon 45 minutes, nous nous sommes assurés de le compenser suffisamment pour son aide.
Varanasi est un passage obligé pour tout voyageur en Inde et tout hindou désireux d’un bain purificateur dans les eaux du Gange ou de mettre une fin expéditive à son cycle de réincarnation en y faisant brûler son corps (la crémation à Varanasi donne un passe droit direct vers le Nirvana, [à gros frais]). Conséquemment, Varanasi est un haut lieu de la spiritualité hindoue et le rendez-vous par excellence pour les occidentaux curieux ou friands de spiritualisme.
Le trajet de nuit dans un autobus dépourvu de suspensions s’étant étiré de quelques heures, l’après-midi était déjà entamé lorsque nous sommes finalement sortis marcher sur les ghats, ces escaliers bordant la rivière en permettant aux croyants un accès facile au Gange peu importe son niveau. Question beauté, Varanasi n’a pas déçu. Sur plusieurs kilomètres, un bord de rive fourmillant d’activité et dominé par d’anciens palais, des temples et plus. Deux ghats sont d’ailleurs affectés à la crémation 24h sur 24; sans répit. Il paraît que la flamme, transférée d’un bûcher à l’autre, est multicentenaire. La ville bordant les ghats est aussi des plus intéressantes. Toute faite de petites allées serpentant parmisde hauts bâtiments, elle recèle de petits temples, de mosquées, de commerces, de vaches et de gens. En soirée, resto de touristes et grosse galère pour nous trouver de la bière à prix acceptable (c’est à dire, sans trop de taxe touriste). Arrivés sur le toit de l’hostel, il était tard, mais l’ambiance était au rendez-vous, alors c’est jusqu’aux petites heures que nous avons fêté et discuté avec d’autres voyageurs. Autour de nous, une vue splendide agrémentée de la lueur des bûchers et l’odeur âcre de corps transformés en fumée.
Au réveil, problème. Deux joueurs de l’équipe se sentent plutôt mal au point où leur dîner ne rentre même pas. Espérant quelque chose de passager, nous partons tout de même en direction du campus universitaire de Varanasi où paraît-il se trouvent de beaux temples. Arrivés sur place de peine et de misère, nous avons été contraints de couper court à la visite et revenir au gîte. Quand même, l’un des malades à trouvé assez de forces pour ressortir faire un tour de bateau sur la rivière afin d’avoir une autre perspective sur les ghats. Des centaines d’autres embarcations étaient au rendez-vous, toutes débordant de touristes indiens venus observer le magnifique spectacle qu’est Varanasi et s’imprégner de toute la spiritualité qui en émane. Pour le reste de la soirée, moi et l’autre survivant sommes allés écouter un peu de musique traditionnelle puis je suis remonté seul sur la terrasse de l’hostel converser avec d’autres voyageurs.
Après une nuit, nette amélioration de l’état gasto-intestinal de nos deux victimes, mais on était encore loin d’un rétablissement complet. Quand même, il nous a été possible de nous rendre jusqu’à Sarnath, lieu où le Bouddha aurait donné son premier enseignement. Content de pouvoir montrer un site bouddhiste à nos amis dans un pays autrement principalement hindou et musulman, l’endroit n’avait rien de comparable avec des lieux similaires visités au Népal ou au Sri Lanka. Vers minuit, nous devions prendre un train de nuit pour Lucknow, alors pendant que les autres relaxaient dans l’auberge, Audrey et moi sommes partis faire une dernière petite marche sur les ghats, nous disant à quel point nous aurions aimés rester davantage à Varanasi.
À la gare, belle expérience indienne pour tous. Non seulement c’était notre premier train de nuit, mais la gare débordait de pèlerins couchés partout en attente du leur. Naturellement, le nôtre a eu une bonne heure de retard et il a fallu confirmer plus d’une fois que c’était le bon, car le système ferroviaire ici est d’une complexité qui dépasse même les Indiens.
Agra n’est vraiment pas si loin de ça de New Delhi et plusieurs choisissent de faire l’aller retour en une journée pour ne visiter que le Taj Mahal. Nous avons plutôt pris la décision d’y passer deux journées afin d’en faire un bon tour, mais aussi de peut-être entrevoir de la vie indienne. Avant tout par contre, passage obligé par le monument le plus célèbre de l’Inde. Arrivés tôt en gare, nous avons pu faire un détour à l’hostel prendre possession de notre dortoir de 4 (donc notre chambre), manger et nous présenter à temps à l’entrée du site afin de disposer d’amplement de temps pour le visiter.
Le Taj Mahal est de loin l’attraction la plus populaire de l’Inde et ça se voit. Les alentours ont été aseptisés à un niveau jamais vu jusqu’à maintenant et tout commerce tourne autour du célèbre monument. On s’attend même à être un peu déçu. Et pourtant, à peine engagés au travers du portail d’entrée principal, c’est l’émerveillement instantané. De symétrie et de proportion parfaite, le Taj Mahal est un monument d’une rare grandeur et mérite à très juste titre d’être qualifié de merveille. Ses lignes épurées, ses courbes, mais aussi ses rectitudes évoquent un contraste sans équivoque avec l’architecture surchargée des Hindous; il faut le dire, en frais d’esthétique, l’Islam n’a pas son égal. Jusqu’au coucher du soleil, nous nous sommes donc baladés autour et dans le Taj Mahal, prenant maintes pauses pour l’admirer sous des angles différents. Afin d’en profiter jusqu’aux toutes dernières lueurs, nous sommes même allés nous poster sur une terrasse non loin pour observer son dôme disparaître dans l’obscurité.
Il n’y a pas que le Taj Mahal à Agra. La ville est de surcroît connue pour son fort, mais aussi comme endroit plutôt inintéressant hormis les deux attractions sus-mentionnées. Or, inintéressant selon le guide ne veut pas forcément dire qu’il ne vaut pas la peine de s’y aventurer. Agra est une ville d’importance et pour sûr il y avait moyen d’aller y observer de la vie locale, chose que nous voulions absolument montrer à Hélène et Hugo, nos deux amis tout récemment atterris en Inde depuis le Québec. Après avoir traversé une bonne partie de la ville et affronté les assauts infructueux des chauffeurs de tuk tuks, nous avons pu rejoindre la mosquée principale. Ayant complètement omis le fait que nous étions vendredi (jour saint pour les musulmans), j’avais pensé à tort que nous pourrions la visiter sans trop d’entraves. Sur place, l’espace était déjà remplis de dévots et le sermon bel et bien commencé si bien qu’Audrey et Hélène n’ont pu entrer sur le site. Hugo et moi nous y sommes quand mêmes aventurés pour y être suivis tout le long par plus de vingts enfants et finalement forcés de rebrousser chemin sous les conseils d’un homme venu pour la prière.
Après un repas dans un restaurant voisin à la mosquée, nous nous sommes réengagés dans le chaos d’Agra pour explorer son bazar et ses ruelles pendant un petit deux heures. Ceci fait, nous sommes passés à la visite du fort, qui je dois l’avouer était intéressante, mais faisait pâle figure face à ceux qu’il nous avait été donné de visiter au Rajasthan. Ses palais bien restaurés avaient bonne mine, mais le lieu avait été beaucoup trop aseptisé pour qu’on puisse réellement l’apprécier. C’est mon opinion du moins; je crois que nos deux compagnons en ont bien plus profité que moi (et Audrey je présume).
Il y a déjà plusieurs semaines, Audrey avait identifié à présence d’un café communautaire à Agra dont la mission était de venir en mission aux femmes victimes d’attaques à l’acide. Malgré un horaire plutôt chargé, nous sommes tout de même parvenus à aménager notre journée de manière à y passer pour aller profiter d’un breuvage, mais aussi laisser un don en personne. Sur place, nombre de bénévoles portaient sans gène les cicatrices de leur passé. Pressés par le temps, nous avons tous regretté ne pas pouvoir nous prélasser davantage dans cet endroit exceptionnel; il nous fallait retourner en vitesse à l’hostel chercher nos sacs pour ensuite attraper notre bus de nuit, lequel est parti avec plus d’une heure de retard…