Comment débuter une année sabbatique ? Tout d’abord, la mettre à l’horaire et partager la bonne nouvelle à notre entourage. Une façon efficace pour ancrer le projet dans le concret et réduire les chances de reculer ou de remettre jusqu’à l’année où on ne le fera pas. Deuxièmement, cesser de travailler, puis partir en voyage. Bon, je passe quelques étapes intermédiaires, comme rêver, espérer, s’imaginer… car entre ces deux dates, le voyage débute tout de même.
J’ai donc travaillé ma dernière journée le vendredi 4 juillet. Ça, c’est l’étape marquante, celle qui enclanche un nouveau quotidien. Car nous avions à ce moment déjà laissé le chalet à des proches, puis les motos, chez des amis. L’une après l’autre, les tâches se cochaient sur la liste des impératifs et notre quotidien glissait tranquillement vers le vaporeux.
Lors de notre dernier voyage d’un an, nous avions grandement travaillé notre excitation, notre anticipation. Grâce à une plus grande disponibilité de temps, et un éventail réduit de possessions, d’engagements et d’obligations. Le sentiment brut d’une liberté complète, cristalline, était palpable. J’avais quitté mon emploi, Antoine avait terminé une étape importante de son programme d’études et allait revenir à autre chose, tout avait été vendu, incluant les voitures ou les meubles surnuméraires, les appartements avaient été laissés à d’autres locataires… Nous faisions donc un saut dans le vide, sans attache, dans l’aventure. Et même notre retour allait en être une. Nous allions revenir dans un nouvel appartement, une nouvelle ville et un nouvel emploi pour ma part, et aucun de ces paramètres n’était connu à l’époque. Il est donc naturel que le processus cognitif baigné d’exultation fut… distinctif, disons ! L’aventure revêtait également un aspect transitoire. Et nous l’avons chérie des années durant, par la suite, et le chérissons encore, par ailleurs. Ce type d’événement de longue durée crée des souvenirs, certes, mais forge, construit, sculpte l’esprit d’une façon qu’il est difficile de mettre en mots. Nos besoins ne sont plus jamais les mêmes après, nos a priori non plus, nos référents font même l’objet d’une certaine translation, parfois imperceptible mais bien présente. Comme si nos trajets venaient se tracer dans notre peau, et que les chemins parcourus coulent dans notre sang, se confondant à même nos veines. Et le simple rappel de ce que nous avons fait se traduit en sourire, de façon perpétuelle, comme un remède dans lequel nous pouvons puiser à volonté. Et c’est ce sentiment qui est inestimable.
Cette fois-ci, nous avons « simplement » mis sur pause la totalité de notre quotidien et de notre réalité. Et le fait d’écrire que nous l’avons simplement fait ne réfère qu’au résultat final, puisque le parcours aura été complexe et ardu, notamment au regard de nos charges professionnelles respectives ainsi qu’à tous ces petits et gros aspects dont la responsabilité nous incombe. L’esprit tente alors de se faire graduellement plus léger, malgré les pépins qui se dessinent avant même le début officiel du voyage. J’en entend déjà d’ici certains d’entre vous sortant leur violon pour nous, pauvres voyageurs privilégiés… et vous auriez raison, nous ne sommes pas à plaindre, d’aucune façon. C’est justement à cela aussi que le voyage sert : prendre conscience du manque de perspective que l’on se permet nous-même d’avoir et de développer. Dans toutes sortes de contextes, pour toutes sortes de raisons, bonnes ou mauvaises, peu importe. Mais le voyage, c’est la réflexion. Celle qui permet de comprendre ce qui importe, de s’élever au-dessus de ce qui n’importe pas, et de connecter à ce qui jusqu’à maintenant, importait trop peu.
En quittant le Canada le 17 juillet, nous avions été cadrés jusqu’alors par nos tâches, nos impératifs, nos responsabilités. Auto-imposées, quand même, ne l’oublions pas. Et puis il y avait mon anniversaire, un tournant vers ma quarantaine, qui était un moment que je souhaitais passer avec mon chum, dans une ville que nous marcherions jusqu’à épuisement. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait à Nashville, ou Music City pour les musicophiles, d’abord réchauffés (ou surchauffés) par le joli soleil du Tennessee, puis rafraichis par une bière fraiche du même coin de pays et posant un regard amusé sur les fêtards, du haut de notre terrasse princière.

Maintenant cette journée charnière passée et l’exercice d’écriture actuel me permettant de m’imprégner de notre réalité ajustée, je sens raisonner l’écho des jours, des semaines et des mois à venir. Le temps passera une journée à la fois, une destination à la fois, et chaque expérience sera goulûment intégrée.
En terminant, je réalise que l’on ne devrait peut-être pas utiliser cette expression de « tournant » de la quarantaine. Parce que je n’ai pas le souhait de revenir en arrière, ou de changer de direction. Je souhaite maintenir le cap, fière de ce que j’ai déjà fait, et excitée de ce qu’il me reste à découvrir et à faire maintenant. Car ne rien regretter, ça se travaille au présent.
Audrey, live from Little Rock, Arkansas
Addendum : Dans les trentes minutes maximum suivant l’écriture de la présente publication, une tuile automobile nous est tombée sur la tête… Antoine “McGyver” Mercier-Linteau a usé de ses talents et de sa créativité… restez connectés, la suite dans sa prochaine publication!
