Article initialement publié sur l’ARN Messager, journal des étudiants en biologie de l’Universié de Montréal. Basé sur l”article de 2013, “Spearing Lionfish”.
Le genre Pterois – ou plus communément le poisson lion – mérite bien son titre. Avec sa large crinière et son attitude impérieuse, il règne en souverain dans la plupart des récifs de coraux des Caraïbes et s’est affairé dernièrement à étendre son empire le long de la côte est américaine. Sa venue en a détrôné plus d’un au rang du plus beau pisciforme; poissons anges, coffres et clowns ont été relégués au rang de simples courtisans. Pour la plupart des plongeurs, il sera invariablement le clou du spectacle. Une photo vaut mille mots; vous n’avez pas vu beaucoup de spécimens plus élégants. Après une plongée, la beauté du poisson lion aura certainement tapé dans l’œil de la majorité des participants. Cependant, peu d’entre eux seront au courant de l’ampleur des ravages que ce magnifique poisson cause aux récifs de la région.
Un intrus
Les conquérants ont rarement été invités et le poisson lion n’y fait pas exception. Originaire des eaux des océans Pacifique Ouest et Indien, personne ne sait vraiment comment il s’est rendu jusqu’aux Amériques. Avec son habit d’apparat, sa majesté n’a certainement pas traversé le vaste Pacifique par lui-même. Peut-être était-ce à bord des ballasts d’un navire de fort tonnage? Plausible mais peu probable. Une théorie qui a prévalu longtemps voulait que des poissons lion captifs se soient échappés d’un aquarium de Floride brisé lors de l’ouragan Andrew de 1992. Pour autant que l’on sache, l’origine de leur venue est encore inconnue, car bien avant les ravages d’Andrew, le roi du récif avait déjà été aperçu le long de la côte floridienne. Étant des poissons assez prisés des aquaristes, la thèse qu’ils aient été relâchés intentionnellement ou par erreur par un propriétaire a récemment refait surface.
Un destructeur
Qu’importe, le mal est fait. Les poissons lions sont désormais légion et causent des ravages sans précédent dans tous les écosystèmes qu’ils fréquentent. Dotés d’un appétit sans précédent, ils dévorent les autres poissons des récifs sans demander leur reste. Ils ont beau traîner tout cet attirail derrière eux, ils sont néanmoins capables de formidables impulsions pour capturer leur proie. Le récif n’est pour eux qu’un simple buffet. Leur nageoires sont hérissées de dards vénéneux, alors gare à vous si vous vous y frottez. On a comparé leur piqûre à celle de se faire fermer une portière de voiture à pleine vitesse sur les doigts. Résultat : votre main enflera jusqu’à l’épaule et vous vous retrouverez agonisant de douleur dans le fond du bateau. Vos vacances? Invariablement gâchées pour quelques jours, car il n’existe aucun antidote. Pour un plus petit habitant du récif qui serait tenté de goûter au roi, c’est une mort certaine qui l’attendra au détour.
Le poisson lion n’a donc pas de prédateur naturel dans les Amériques. Les requins sont apparemment immunisés à leur poison, mais ayant malheureusement été virtuellement éliminés de la région, on ne peut pas vraiment compter sur eux pour endiguer la propagation de cette espèce invasive. On a recensé des Pterois dans le ventre de mérous, mais encore là, leur faible densité fait d’eux une piètre option. Le lion règne donc en roi partout où il s’installe. Là où il est activement chassé, on le retrouve généralement tapis dans les crevasses. Ailleurs il déambule en plein jour comme si rien n’était, comme le témoigne cette vidéo, où un plongeur en harponne pas moins de 200 sur un seul site.
Un délice
La seule espèce capable de contrer la progression de l’envahisseur, c’est un Homo sapiens palmé armé d’un harpon. Encore une fois donc, il incombe à l’homme de réparer les torts qu’il a causé à la nature, sauf que là heureusement, le poisson lion est délicieux. Dans un burger ou en ceviche, la mort rétracte son venin à l’intérieur de ses épines et pour autant que l’on soit muni d’un bon couteau, il est relativement facile de le fileter.
Chasser le poisson lion est une autre paire de manches par contre. Complètement indifférent face à la menace d’un trident à deux pouces de sa tête, il ne fait pas une redoutable proie. Le problème, c’est qu’un faux mouvement pourrait se solder par une piqûre, car la direction de ses bonds est somme toute imprévisible. Plus c’est beau et coloré, plus c’est toxique. En langage technique, c’est de l’aposématisme, une manière qu’a l’animal d’avertir ses prédateurs qu’ils devraient passer leur chemin.
Sur l’île d’Utila au Honduras, le centre de plongée dans lequel je suivais une formation, envoyait sporadiquement ses maîtres plongeurs à la chasse, à la fois pour contrôler l’expansion de l’espèce, mais aussi pour alimenter ses cuisines de chair fraîche pour le fameux « save the reef » burger. Dans les récifs encerclant l’île, les efforts de contrôle étaient assez efficaces, puisque apercevoir un Pterois était somme toute peu fréquent. Loin des sites de plongée par contre, on le retrouvait en grand nombre. C’est donc là que nous allions chasser, dans les collines marines qui bordaient la périphérie extérieure de l’île. Le stress, l’effort et la profondeur demandaient des habilitées de plongée supérieures à la moyenne pour éviter les accidents de décompression, mais le défi principal résidait dans le fait que nous n’étions autorisés à nous servir que d’un harpon – erronément appelé sling hawaiienne – d’une longueur maximale de deux pieds, ce qui exigeait que nous approchions nos mains nues dangereusement proche de notre proie.
La sling hawaiienne est un petit trident auquel est attaché à son extrémité un élastique chirurgical. L’élastique est enfilé autour du pouce et il est bandé jusqu’à ce que la main puisse agripper la base du trident. Lorsque la poigne est relâchée, le trident est projeté vers l’avant par la force de l’élastique avec suffisamment de force pour transpercer un poisson de taille moyenne. Dans nombre de vidéos incluant celui ci-haut, les plongeurs sont munis d’une sling avec un long manche, ce qui établit plus de distance entre eux et leur proie et leur permet l’utilisation d’un plus long élastique pour une puissance accrue. En vertu des règlements en place pour limiter la pêche sur l’île d’Utila, nous étions limités à un harpon de deux pieds et des mains sans protection, le port de gants étant lui aussi interdit.
Le stockage du poisson lion harponné présente lui aussi un défi. Il n’est pas possible de se servir d’un simple sac de maille tissée, car ses dards pointus présentent encore un danger pour quelques temps après le décès. Il existe des contenants adaptés, mais pas de Fedex ni d’UPS sur l’île, alors nous devions faire avec les moyens du bord, soit des tuyaux de PVC bouchés aux deux extrémités. Pendant qu’un plongeur s’occupait du harponnage, son compagnon devait tenir le réceptacle en prenant garde de ne pas toucher ses embouts troués.
Une fois à bon port avec les prises de la journée, tous les spécimens étaient mesurés pour fin de statistiques et ensuite filetés pour le ceviche du soir. Les abats, eux, étaient répandus dans les alentours en espérant qu’il vienne à un prédateur plus adapté qu’un humain à la vie aquatique l’aspiration de détrôner le poisson lion comme roi du récif.
En conclusion
Que les premiers spécimens soient arrivés par bateau ou relâchés par un propriétaire d’aquarium qui voulait leur donner une seconde chance plutôt que de les tuer, ce n’est qu’une triste conséquence d’un manque de jugement de notre part. Il n’y a pas eu malice ou de grossière négligence de la part de personne. Je ne sais pas si globalement, les efforts pour endiguer la progression de l’espèce portent fruit. Localement par contre, sur plusieurs îles que j’ai fréquenté, la communauté des plongeurs et les habitants se sont mobilisés pour contrer l’envahisseur, car vivant de pêche de subsistance ou de l’éco-tourisme, leur source de revenus ou nourriture en dépend. Il s’organise des « lion fish derby », où tous se rassemblent un après-midi pour aller chasser sur les récifs. L’évolution des populations est suivie par des biologistes et les autorités locales et lors de plongées avec des clients, nous apportions souvent notre équipement de chasse au cas où nous rencontrerions un Pterois. Bien que faisant face à d’autres menaces, les récifs autour de ces îles s’étaient généralement affranchis de celle du poisson lion, grâce aux efforts concertés des différentes parties prenantes. Ailleurs par contre, l’ampleur des dégâts est difficile à juger. Cela peut sembler paradoxal, mais désormais, la santé de ces écosystèmes fragiles dépend en grande partie de celui qui les a mis en danger en premier lieu: l’homme.
Références
- Expérience personnelle
- Barbour AB, Allen MS, Frazer TK, Sherman KD (2011) Evaluating the Potential Efficacy of Invasive Lionfish (Pterois volitans) Removals. PLoS ONE 6(5): e19666. doi:10.1371/journal.pone.0019666. Repéré à http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0019666
- Green SJ, Akins JL, Maljković A, Côté IM (2012) Invasive Lionfish Drive Atlantic Coral Reef Fish Declines. PLoS ONE 7(3): e32596. doi:10.1371/journal.pone.0032596. Repéré à http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0032596#pone-0032596-g002
- Morell, V. (29 avril 2010 )Mystery of the Lionfish: Don’t Blame Hurricane Andrew. Science Magazine. Repéré à http://news.sciencemag.org/2010/04/mystery-lionfish-dont-blame-hurricane-andrew
Très instructif cet article sur le Ptérois
Je ne savais pas que l’on pouvait le déguster!
En tout cas ce n’est pas moi qui irait le pêcher…..