Elle mérite son propre article, car il ne m’a jamais été donné de côtoyer une société aussi polie et respectueuse et franchement, je ne crois pas qu’il en existe qui puissent les supplanter. Peu importe l’endroit, les Japonais sont toujours présents, serviables et souriants. Même livré à eux mêmes, leur étique de travail fait en sorte que peu importe la tâche à laquelle ils s’adonnent, il est garanti qu’elle sera bien faite et ce au premier essai. Les villes sont d’une propreté telle qu’il y est très difficile de trouver des poubelles (Melissa a formulé l’idée de développer une application pour les indiquer aux touristes), les Japonais ramènent leur déchets à la maison comme le prescrit de nombreux signes dans les parcs. Avec raison dans le fond, contrairement à nous qui erronément pensons que nos emballages usés et restes de nourriture ne sont plus notre responsabilité.
Je fis l’expérience du savoir vivre de ce pays dans le plus inattendu des endroits: au Mister Donut. Les deux seuls préposés furent si serviables que Melissa et moi nous sommes sentis franchement inconfortables d’avoir eu droit à un service cinq étoiles pour le seul achat de cafés et de beignes. Pour donner quelques exemples, ne parlant pas anglais, les employés firent leur possible pour s’assurer que nous ne manquions de rien, ils nous apportèrent lait et sucre sans même que nous le demandions et lorsque l’un nous renversa un peu de liquide sur nos mains et la table, plus vite que son ombre l’un d’eux accouru avec des serviettes. Lorsque nous quittâmes l’endroit, nous eûmes droit à la révérence Japonaise avec un “Good bye, thank you” maladroit mais chaleureux et ce n’était pas parce que nous étions manifestement touristes, les autres clients ayant eu droit à la même qualité de service.
Les Japonais ont encore une fois mis la barre haute. Pour votre divertissements voici une sélection de signes que l’on peut trouver un peu partout au Japon. Pour la collection entière, rendez-vous ici.
Before passing gas I look behind me!!! Effectivement!
Sur la politesse japonaise, je me demandais si tu avais la chance de voir l’envers de ce carcan qui, à ce qu’on lit, étouffe les nouvelles générations. Des films comme Tokyo Decadence ou The Audition illustrent une société qui tombe dans les extrêmes à la moindre chance. On pourrait dire que les Japonais relâchent la soupape avec une intensité particulièrement forte. Qu’on pense seulement aux télés-séries japonaises, avec toutes leurs bizarreries et leurs déviances sexuelles (elles en sont du moins à nos yeux). Ça introduit une réflexion intéressante sur l’ordre et le désordre. Les sociétés médiévales avaient besoin de se ressourcer dans le désordre pour accepter les codifications sociales très rigides qui régissaient les interactions sociales; c’était la joie des carnavals, où la baise et la violence prenaient le dessus sur la morale chrétienne et où les roturiers devenaient aristocrates d’un jour. Nous vivons toujours dans cette dynamique ordre/désordre, seulement le “désordre” a été transféré à la sphère privée, et on se relâche volontiers la soupape dans l’intimité de notre salon ou devant notre ordi… Où je veux en venir, c’est que la société japonaise semble vivre encore dans un monde très codifié, un monde très ordonné, où la séparation ordre/désordre (qu’on désigne souvent aussi de structure/anti-structure) est particulièrement forte. Ça expliquerait pourquoi on peut voir à la télé japonaise des shows où les mères se retrouve à masturber leurs fils sans le savoir (histoire avérée, la mère et le fils avaient les yeux bandées)… Cela dit, ça n’enlève absolument rien à la valeur des moeurs japonaises, au contraire à mon avis.
Oui, effectivement cette politesse à outrance peut-être un carcan. Je n’ai pas rencontré d’exemples flagrants de soupape évacuant un trop plein de pression, mis à part des adolescents à l’accoutrement très extravagant, qui sont une affirmation d’individualité à mon avis (il y en a aussi beaucoup en Chine), tout semblait ordonné et courtois.
Là où je crois que les Japonais s’évadent de leur quotidien trop rigide, c’est dans l’imaginaire ou l’abus. Hormis la télévision, ils se sont inventés divers passes-temps bien à eux, dont certains ont connus beaucoup de succès à l’export. Les mangas, à ma grande surprise, sont excessivement populaires; chaque dépanneur (et il y en a beaucoup des dépanneurs) a un rayon qui leur sont dédiés. Pour ceux de la génération plus récente, les jeux videos occupent aussi une place très importante. Finalement, pour ceux au tempérament abusif, il y a l’alcool et les jeux d’argent (pachinko et slots).
J’ai beau me creuser la tête par contre, je ne suis pas capable de tirer de liens de causalité entre une société aux moeurs rigides et la dépravation. Il y avait peut-être beaucoup de décadence dans les carnavals, mais aussi de nos jours les choses dérapent souvent quand on mêle fête et drogues. La raison pour laquelle à mon avis les médias japonais sont devenus si dépravés en est une de compétition, car les japonais consommant énormément de ces derniers, vite le marché est devenu saturé et il a fallu que les producteurs deviennent plus imaginatifs pour gagner de l’audience. Il s’est subséquemment créé une culture autour de cette dépravation. En ce qui nous concerne, notre morale qui diffèrent de la leur et notre retard en ce qui concerne l’adoption de médias et technologies font en sorte qu’une telle chose n’aurait pas pu arriver.
En fait, la dépravation a toujours existé et existera toujours; c’est justement ce que la dichotomie conceptuelle “ordre/désordre” ou “structure/antistructure” cherche à expliquer. Toute société est régie par un système de normes et de règles qui forme ce que l’on nomme “l’ordre moral”. Cet ordre impose une certaine pression sur les individus, pression qui varie selon les classes, les sociétés, les époques, etc. Depuis toujours, les humains contrebalance le fardeau de l’ordre moral en s’adonnant à diverses activités du “désordre”, la dépravation étant son extrême le plus péjoratif, mais ces activités ne sont nécessairement immorales en soi. Par exemple, à notre époque, nous contrebalançons les contraintes de l’ordre moral (qui sont très axées sur le travail et sur la bonne conduite sociale) dans la sphère privé, où nous nous départons des divers masques que nos rôles sociaux nous imposent; nous relâchons la soupape dans l’intimité de nos foyers, avec nos amis, dans les clubs, sur le net etc. Là, nous pouvons tendre, selon des degrés variables, vers des activités de plus en plus “immorales” ou “amorales” ou encore tout simplement hors normes. Cette variation est grandement due, selon certains sociologues et philosophes, dont Charles Taylor, à l’intensité des pressions de l’ordre moral. D’où mon commentaire précédent concernant le japon, dont l’ordre semble particulièrement fort.