Voilà bientôt deux mois que nous sommes revenus et toujours aucune publication sur notre dernière destination de ce grand périple. Disons qu’avec le rythme effréné du retour au pays, la motivation a manqué, mais je n’allais quand même pas laisser inachevés tous ces efforts de documentation de notre voyage.
Lors de ma dernière visite de Tokyo, je n’y avais passé que trois jours et à me relire, il semblait que l’expérience m’avait quelque peu déçue (en regard des autres villes japonaises); peut-être était-ce l’hiver… Toutefois, le temps adoucissant tout souvenir, j’appréhendais notre séjour dans la capitale avec un positivisme débordant. Mes mémoires de l’endroit, plus que dans les autres villes japonaises, étaient restées relativement fraîches et j’avais hâte de revisiter en compagnie d’Audrey les lieux phares de l’incontournable métropole.
La pluie qui tombait à notre arrivée depuis Magome-juku ne m’a pas empêché, caméra en main, d’aller arpenter le quartier autour de notre gîte. Le silence ambiant et la réflexion des lampadaires et des phares sur le bitume humide donnaient à l’endroit un air mystérieux. En déambulant, j’en ai aussi profité pour faire une étude photographique des machines distributrices japonaises histoire d’ajouter à ma petite série d’articles sur quelques fascinants aspects de ce pays (arcades, politesse).
Le lendemain, énorme programme de marche. Comme si nous n’avions disposé que d’une seule journée pour faire le tour de la capitale, j’avais concocté un itinéraire qui allait nous faire passer par le principal et le plus touristique. En passant par Asakusa et Ginza, nous nous sommes rendus dans l’un des quartiers d’affaires afin d’y débusquer une tour à bureau qui dans mes souvenirs, se laissait escalader et offrait un beau coup d’oeil sur la ville.
Par la suite, Roppongi, puis Shibuya, ce quartier électrifiant célèbre pour son intersection, apparemment la plus fréquentée de la planète. Sans rentrer dans les détails de tout ce que nous avons pu visiter en cette journée bien chargée, nous avons entamés le demi-tour de notre course touristique effrénée à 15 kilomètres de notre hôtel. Loin d’avoir l’intention de revenir en transports en commun, c’est bière à la main que nous avons entrepris le chemin du retour, profitant de la multitude de machines et de dépanneurs sur notre route pour nous garder bien hydratés. À mi-course, un arrêt izakaya (ces petits pubs bien japonais) s’est imposé où sur l’espace de deux heures, nos hôtes nous ont entretenu dans un anglais rudimentaire, mais ne manquant pas de nous offrir au passage quelques verres et yakitoris, petites brochettes de viande et de légumes.
Naturellement, après une telle journée, le réveil du lendemain s’est avéré plus ardu que prévu, à la fois par la faute de l’abus de bonne chère, mais surtout de par les plus de 30 kilomètres marchés ce jour là. En temps normal, mes pieds n’auraient pas trop bronché, mais après dix mois, l’usure commençait à se faire sentir. Programme léger donc. Petite visite d’Akihabara, surnommée ville électrique anciennement pour son foisonnement de petits magasins d’électroniques, mais aujourd’hui le bastion de la culture manga. Par la suite, direction station de métro pour nous rendre en périphérie du centre-ville à l’izakaya/restaurant Toriki.
Ce n’est pas son étoile Michelin qui rend Toriki bien spécial, mais le fait que son chef y prépare du sashimi de poulet (torisashi). Eurk? Salmonelle? Non. Du moins, pas si exécuté par un maître japonais. Avec le bon poulet et les bonnes techniques, il est possible de rendre cette viande propre à la consommation crue, car ultimement, ce sont nos méthodes d’abattage industrialisées qui la souillent. À mon grand regret, une fois sur place, un préposé nous indique que depuis peu ils ne sont plus autorisés par la santé publique à servir leur plat signature, pour faute d’émules maladroits qui par négligence ont rendu leur clientèle malade. Qu’importe, pour avoir fait tout ce train, nous n’allions pas faire demi-tour. Après avoir parcouru le menu et commandé certains items, le chef nous convainc d’y ajouter son plat le plus populaire.
En succession, nous recevons notre commande, prenant le temps de savourer un repas jusque-là pas tout à fait à la hauteur de mes attentes, mais qui valait tout de même le déplacement. Le tout en échangeant avec le chef qui devant nous prépare ses poulets et les manipule main nues sur le charbon. L’ambiance est bonne et le moment plaisant. Finalement, alors que nous l’avions complètement oublié, il nous sert son assiette si prisée: quelques morceaux de poulet tout juste grillés servis avec une petite marinade. Le poulet n’est cuit qu’approximativement et certaines pièces sont simplement saisies. Je goûte et conclue aussitôt n’avoir jamais mangé de si bon poulet. Dans ma tête, je vis pleinement l’un de ces rares moments gastronomiques où nos sens monopolisés par une habile orchestration de saveurs, odeurs, textures et présentations, l’on réalise que la perfection est de ce monde. Hautement ravis par une expérience culinaire qui se sera finalement hissée dans mon top 5, nous avons regagnés tranquillement notre hôtel pour y attendre Jean et Hélène, que nous croisions pour la troisième fois de ce voyage (première fois en Inde, deuxième fois au Sri Lanka). Audrey comme moi était excitée de partager avec ses proches à quel point le Japon lui plaisait.
Plus en forme le matin suivant que la veille, nous avons débuté la journée par un bon Matsuya. Matsuya (j’y avais mangé un nombre incalculable de fois lors de ma première visite du Japon sans en connaître le nom) est une chaîne restauration rapide généralement ouverte 24 heures et se spécialisant dans le gyumeshi, un simple bol de riz avec du boeuf. À l’instar de nos restaurants de type fast food, on y passe peu de de temps et la nourriture y est bon marché. Cependant le service est impeccable, les plats réellement succulents (pas genre gras et salé; vraiment bons) et l’imagerie qui figure sur les menus est exactement conforme à ce qui se retrouvera dans notre assiette. Je n’en dirait pas autant des établissements auquel nous sommes accoutumés… Aie-je mentionné que toutes les commandes venaient avec une soupe miso? Parlant de menu, on ne commande pas son Matsuya à un japonais, mais plutôt une machine qui bien heureusement offre son interface en anglais. On a sans exagérer dû manger au Matsuya en moyenne une fois par jour. Non pas par facilité, mais surtout par souci d’un bon rapport prix/goût. Sans être au courant du Matsuya, l’on pourrait facilement passer des semaines au Japon sans les remarquer. Heureusement, Jean et Hélène nous avaient en leur présence pour les initier aux rouages d’un voyage en terre nippone.
Bien repus, c’est vers la ligne de monorail qui traverse le quartier futuriste d’Odaiba que nous avons débuté notre programme tokyoite. Vanté pour son look futuriste, Odaiba est constitué de quelques kilomètres carrés d’îles artificielles et il était possible d’en avoir un bon aperçu en empruntant son monorail. Surtout composé de centres d’achats et autres immenses bâtiments aux fonctions commerciales, le tour s’est avéré être un peu décevant. Je me suis même surpris à préférer le Palm Jumeira de Dubai. Qu’importe, pour nous rattraper en terme de vista urbaine, l’ascension de la mairie de Tokyo. Arrivés pile au bon moment, nous avons pu profiter du soleil tombant pour admirer l’immense métropole de jour et de nuit. Redescendus de notre perchoir, nous y sommes allés pour une balade à pied jusqu’à Shibuya puis d’un copieux repas dans ces fameux trains de sushis suivi d’un retour à l’hôtel à une heure plutôt potable.
Qu’est-ce qu’on fait le dernier jour d’un voyage de plus de 10 mois. On est un peu las, mais on tente d’en tirer le maximum. Bref, dans tous les morceaux de Tokyo qui nous manquaient, nous avons choisi le plus évident et aussi le plus populaire, soit Asakusa, ce fameux temple. Non pas car l’endroit est spécial, mais il nous fallait faire quelques emplettes en prévision d’une distribution de cadeaux au retour. La frénésie de magasinage s’est même poursuivie vers les quartiers voisins, où nous sommes tombés sur la rue qui.
En guise de dernier repas, un petit restaurant de yakitori (brochettes) déniché dans une allée. Au milieu de notre repas, un homme s’approche et demande s’il peut se joindre à nous. Il nous a entendu parler français et désire se faire l’oreille à cette langue qu’il tente lui-même d’apprendre en ce moment (preuve à l’appui, il nous montre même ses livres et dictionnaires). Soucieux de bien s’intégrer, il commande aussitôt deux bouteilles de vin. Les conversations qui animaient notre ultime soirée passeront momentanément à un niveau plus rudimentaire histoire d’accommoder notre nouvel interlocuteur, mais pas pour le moins enrichissantes.
Au terme du repas, notre hôte inattendu nous aura non seulement fourni en alcool, mais se sera en plus chargé de l’entièreté de l’addition d’une excellente bouffe. À la sortie du restaurant, il tire poliment sa révérence et s’en va titubant en direction opposée. C’est ça, le Japon. Bien imbibés, nous poursuivront la soirée à discuter jusqu’à très tard devant l’hôtel.
Le lendemain, c’est le grand départ. Sans encombres, nous nous rendons à l’aéroport de Narita. Ensuite Detroit où nous passons à deux doigts de manquer notre transfert en raison d’une fouille un peu trop zélée de la TSA. Finalement, arrivée à Montréal où une fête d’amis nous attends. Dans mes souvenirs, tout s’est déroulé l’instant d’un flash. D’aventuriers de long cours, nous avons été re-téléportés dans cette vie que nous avions laissé plus de 300 jours auparavant. Cette existence si distante dans le temps et l’espace que de la redécouvrir a suscité en nous l’impression de … voyager.