Enfin! Après 7 jours coincés à Aralsk, la voiture était réparée et nous allions pouvoir reprendre la route. Vers 14h30 donc, nous avons rencontré notre mécanicien à son garage, l’avons payé (32000 Tengue, soit 128$), remercié, sommes allées faire les courses en prévision d’une nuit dans la steppe et sommes partis sans demander notre reste (et sans trop de nostalgie [bien que nous garderons de bon souvenirs de notre séjour dans cette petite ville]). Une fois sur la route, nous sommes repassés en vitesse parmi tout ce que nous avions vu lors de l’aller et avons roulé, roulé et roulé jusqu’à ce que la fatigue nous oblige à nous arrêter. Nous avions comme objectif kyrghystand’arriver à Bishkek le lendemain et pour couvrir les quelques 1500 kilomètres entre Aral et la capitale du Kirghizstan, il nous fallait couvrir le plus de chemin possible.
Normalement, nous évitons de chercher des sites de camping la nuit, mais l’expérience acquise lors des dernières semaines au Kazakhstan nous a démontré qu’il y a rarement des obstacles et que pas mal n’importe quel endroit loin des villes et dans la steppe suffit. C’est donc l’emplacement que nous avons choisi. Après un court repas de dumplings et de la bière pour fêter la reprise du road-trip, nous étions couchés.
Encore une petite journée en hors route. Au lieu de revenir sur nos pas, nous avons décidé de boucler la boucle et de monter vers Aral par la route sableuse que l’on avait initialement tenté d’emprunter. Sven et sa copine gagnaient en confiance pour affronter les situations hors route à deux sur la moto et la Golf s’était montrée largement à la hauteur jusqu’à maintenant. Cependant, quelques kilomètres après le départ, le moteur s’est soudainement mis à émettre un bruit aigu dont la fréquence dépendait du régime. Bon, un autre problème, probablement une poulie qui était en voie de rendre l’âme. Tout le sable que le moteur s’était mangé dans les derniers jours avait probablement précipité le problème.
La tête dans le capot, il a fallu à moi et Aurélien un petit moment pour nous faire une idée du problème. La courroie d’arbre à cames était abîmée et le son provenait de cet endroit, c’était donc un roulement à billes dans la région. Encore à 20 kilomètres de la ville, nous avons décidé de poursuivre tout en gardant le moteur à bas régime pour ménager la pièce défectueuse. Heureusement, la Golf s’est rendue à bon port (vous captez la blague? Il y avait un port à Aralsk, il n’y en a plus car la mer s’est retirée…) Tomber en panne dans un tel endroit nous aurait valu de belles emmerdes.
Après avoir fait un arrêt bouffe dans un resto de la ville et s’être fait payé des bières par un Kazakhe en visite lui-aussi, nous nous sommes rendus dans un garage en compagnie d’Aurélien. Sven avait des courses à faire alors il allait nous rejoindre plus tard, mais de toute manière, il quittait ce soir pour Almaty. La Golf avait à ce moment deux soucis, un étrier de frein auquel il manquait un boulon et un roulement dans le moteur qui était en voie de rendre l’âme. Le premier mécanicien visité nous a confié ne pouvoir rien faire pour notre ennui de moteur. Lorsque questionné sur la possibilité de nous rendre jusqu’à Kyzylorda, la capitale régionale, il nous a répondu par l’entremise de Google Translate qui pour une fois semblait avoir compris le contexte de la conversation : “You won’t make it.”
Dans le deuxième garage, j’ai commencé par leur montrer le problème de frein pour voir ce qu’il allait en faire et au moins régler celui-là si nous allions tout de même décider de partir contre recommandations. Nous n’allions pas rouler à pleine vitesse sur l’autoroute avec un étrier à moitié attaché, c’était de la sécurité de base. Le mécanicien, un type quand même assez dégourdi, a commencé par cogiter sur la situation et tenté de voir s’il était possible de souder un autre boulon au lieu du boulon original puis de lui scier la tête. Malheureusement, il n’aurait plus été possible de changer les plaquettes par la suite, plutôt handicapant donc. Le principal défi ici est que Volkswagen n’a pas utilisé une pièce standard pour faire tenir l’étrier. Sur une autre voiture, tarauder l’orifice dans le moyeu et utiliser la taille de boulon au dessus aurait sans doute fait l’affaire mais là, le principe de fonctionnement faisait en sorte qu’il fallait reproduire le guide/boulon d’origine. J’ai suggéré de simplement forcer un boulon de suspension dans le trou. Fait d’un métal très dur, il est possible qu’il puisse refaire un filet dans le moyeu plus mou et donner un ancrage solide. Le mécanicien ne voulait rien savoir.
Se levant d’un coup, il me demande si j’ai de l’argent sur moi et m’indique de monter dans son véhicule. Cinq minute plus tard, nous arrivons devant le portail d’une maison non loin du garage. En rentrant et en apercevant tout le matériel d’usinage dans le garage du type, je comprend aussitôt qu’il va nous fabriquer un remplacement. Ça c’est de la débrouillardise! 1000 tengues (4$) et dix minutes plus tard, j’avais entre les mains un excellent substitut de la pièce originale. De retour au garage, tout a été remonté sans accrocs. Initialement, j’avais peur que les Kazakhes me bricolent un truc approximatif mais là, c’était une réparation de chef, aussi solide et totalement dans l’esprit de la pièce originale.
Problème numéro un réglé on passe au problème numéro deux. Là, c’était un peu moins drôle. Après avoir inspecté la voiture à 4 personnes, ils nous ont expliqué (tant bien que mal par l’entremise de Google Translate) que le tensionneur de la courroie d’arbre à cames était bousillé. Lorsque j’ai de nouveau émis la possibilité de rouler jusqu’à Kyzylorda, ils ont tout été unanimes, j’allais tomber en panne bien avant. L’un d’eux à même renchérit que le moteur allait peut même en écoper si la courroie lâchait avec le moteur en fonction. Voilà de bien mauvaises nouvelles.
Comme il se faisait tard, les mécaniciens m’ont proposé de remorquer la voiture jusque dans un lieu sécuritaire pour la nuit et qu’ils allaient tenter de trouver une pièce de remplacement demain. Nous n’avions pas vraiment le choix. La voiture remorquée et sécurisée, nous nous sommes constitués de petits sacs à dos pour une nuit puis le garagiste nous a reconduit au même hôtel qu’Aurélien. Déjà, je sentais que nous allions rester coincés à Aral pour un moment. Ce genre de pièce allait être difficile à trouver c’était certain, de un parce que ce n’est pas quelque chose qui brise souvent, mais aussi parce nous étions à Aral, une petite ville de 30 000 personnes en plein milieu du Kazakhstan.
Une fois nos effets posés à l’hôtel, nous avons accompagné Aurélien à la gare ferroviaire pour investiguer la possibilité pour lui de quêter un trajet dans le poste de conduite d’un train de marchandise. Nos chemins se séparaient à Aral et il devait trouver un moyen de se rendre jusqu’à Aktau pour prendre un avion. Aurélien s’étant rendu jusqu’ici presque exclusivement en stop, il était naturel qu’il n’aille pas d’office acheter un billet de train. Par la suite, shawarma dans un café/disco local puis bières et discussion dans le parc près de la grand-place.
Vous remarquerez que la carte n’est plus tirée de Google Maps, mais plutôt d’OpenStreetMap, car les chemins que nous empruntions n’y sont pas affichés.
Debout à une heure raisonnable, nous avons déjeuné tranquillement en compagnie des chameaux et du paysage puis avons quitté notre camp direction mer d’Aral. Les camps dans la steppe ont définitivement quelque chose de magique. L’air y bon, bien que nous soyons totalement exposés, il y vente très peu et finalement, le ciel de nuit y est magnifique.
Nous avions près de 30 kilomètres à parcourir avant notre premier arrêt, ce qui est peu pour une journée de route au Kazakhstan, mais la route de gravier était très raboteuse, alors nous n’avancions pas très vite. Sven, plus agile avec sa moto, finissait toujours par nous devancer. Une dizaine de kilomètres avant Zhalanash, le village où se terminait la route et l’endroit où nous allions bifurquer vers la mer, un bruit métallique a commencé à se faire entendre dans la route avant gauche. J’arrête la voiture, je regarde en dessous, rien. Je remonte et j’avance un peu, le bruit recommence. Aurélien sort pour écouter pendant que je fais rouler la voiture et confirme l’origine du son et mon impression que cela doit venir de la suspension. Finalement, on démonte la roue et surprise, on découvre l’étrier du frein qui ne tenait plus qu’à quelques filets d’un boulon, l’autre étant tombé on ne sait où.
Nous sommes tous les trois sortis du véhicule et avons fait la battue de la route derrière nous pendant presque un kilomètre pour tenter de retrouver le boulon perdu. Sans succès, nous sommes retournés au véhicule et j’ai entrepris de trouver une manière de rattacher l’étrier. Après analyse du problème, le pas de vis du boulon inférieur, celui que nous avions perdu, était complètement mangé, ce qui signifiait potentiellement que le boulon était tombé il y a plusieurs milliers de kilomètres et que finalement, les vibrations avaient eu raison du boulon supérieur et l’avaient déserré. Qu’importe, circuler avec un frein à moitié attaché était tout de même quelque chose de plutôt risqué, mais comme nous ne roulions pas très vite, un boulon allait suffire jusqu’à notre retour à Aralsk. J’ai donc réinstallé le boulon supérieur et attaché le bas de l’étrier au moyeu avec du fil de fer. Pendant que nous travaillons sur la voiture, quatre Kazakhes sont passés en 4×4, on offert leur aide et voyant que la situation était sous contrôle, nous ont donné jus, eau, fruits et biscuits au cas où nous resterions coincés ici pour longtemps.
La réparation faite, nous sommes repartis, mais non pas sans s’arrêter à tous les cinq kilomètres pour vérifier si rien ne s’était défait. Sven, qui avait eu le temps de se rendre jusqu’au village est finalement revenu à nous pour voir ce qui se passait et tout ensemble, nous sommes rentrés dans Zhalanash, un ancien village de pêcheur et le point de départ d’une route menant à un endroit où nous pouvions encore observer des carcasses de bateau laissées en plein désert par la mer qui s’était retirée il y a des décennies. La route menant aux carcasses n’était qu’une petite piste de sable et de terre surtout empruntés par des camions, mais avec notre garde au sol digne d’un 4×4, il n’y avait aucun problème et lorsque les ornières devenaient trop profondes, nous ne faisions que couper par l’ancien lit de la mer, aujourd’hui partie intégrante du désert alentour.
Des carcasses de bateau il ne restait plus que le fond. Tout avait été démantelé par les ferrailleurs. C’était quelque peu dommage, mais évidemment la bonne chose à faire avec des tas de métal pourrissant dans le paysage. Tout de même, il aura quand même fallu une bonne vingtaine d’année aux Kazakhes pour finalement s’en débarrasser. Seulement, il faudra mettre les guides de voyage à jour car le nôtre, datant de 2015, faisait encore état de ces épaves en plein désert.
Comme Sven peinait à maîtriser sa moto dans le sable, il nous a transféré Clotilde, sa passagère, car la Golf s’avérait bien plus à la hauteur pour ce type de terrain. Arrivés en bord de mer, nous avons été surpris de tomber sur une bande de pêcheur Kazakhes et un rivage boueux et plein de roseaux. Selon nos lectures, nous nous attendions à une immense mare en plein désert beaucoup trop salée pour que quoi que ce soit y vive. Nous nous étions évidemment trompés et tant mieux si les Kazakhes pouvaient encore tirer encore une petite subsistance de la mer d’Aral. Ayant été séparé en plusieurs segments par le recul des eaux, il se peut que l’endroit sur lequel nous avions lu se trouvait ailleurs. Peut-être en Ouzbékistan, peut-être quelques centaines de kilomètres plus loin dans le désert, qu’importe, c’était hors de notre portée.
Comme nous voulions un endroit paisible pour nous baigner et camper en bord de mer, nous avons quitté le coin des pêcheurs et nous sommes dirigés direction nord vers la ville d’Aralsk pour trouver un autre endroit. En allant tester ce qui semblait être au loin une plage, Sven s’est solidement embourbé dans le rivage boueux et il a fallu une bonne demi-heure à nous cinq pour sortir sa moto de là. Heureusement, notre prochain arrêt allait être le bon. Pas de plage, mais au moins un endroit sec pour poser la tente et un accès à l’eau. De toute manière, s’il existait des plages, elles avait dû maintenant être intégré au désert et donc à une bonne distance du rivage présent.
La baignade s’est avérée être une expérience boueuse, mais au moins un peu rafraîchissante. Tous lavés (propre, c’est débattable, car l’endroit est très pollué), nous avons soupé sur les provisions qu’il nous restait, soit potage et pâtes, car nous n’avions pas prévu de camper deux jours aux abords d’Aral. La nuit tombée, les pêcheurs fréquentant ce site avaient laissés assez de débris de bois et de roseaux coupés autour pour que nous puissions faire un feu (le premier du voyage!) en dégustant ce qu’il restait de nos réserves de vin français.
Après une telle nuit, le réveil a été plutôt tardif. Celui de Sven et sa copine aussi d’ailleurs, qui avait roulé plus de 1000 kilomètres à moto pour se rendre à temps au site du décollage. D’ailleurs, pendant qu’Aurélien et Audrey roupillaient encore, j’ai marché le kilomètre qui le séparait de nous pour aller le saluer et lui conter notre histoire. Ce jour là, nous n’avions pas grand route à parcourir. Aralsk, notre destination, était la ville principale de la mer d’Aral, un énorme lac salé aujourd’hui presque disparu alors que tous ses affluents ont été redirigés pour alimenter les cultures de coton en Ouzbékistan.
De nos jours, Aralsk n’est plus au bord de l’eau. Ce dernier se situe à un bon 20 kilomètres. Arrivés en ville, nous avons donc convenu que plutôt que coucher là, nous allions tenter de nous rendre le plus loin possible sur l’un des petits chemins menant à l’eau. Malheureusement, nous avons été contraint de faire demi tour car ce dernier s’est avéré beaucoup trop sableux pour une moto. L’option B, une route de gravier, s’est montrée beaucoup plus practicable et nous l’avons suivi jusqu’au coucher du soleil.
Le camp installé, nous avons tous les cinq bu des bières en nous contant de bonnes histoires, à commencer par celle de la veille…
Baïkonour est le plus important cosmodrome Russe et le seul endroit d’où partent maintenant les vols habités vers la Station Spatiale Internationale depuis la fin du programme de la navette spatiale américaine. Pourquoi donc Baïkonour se trouve en territoire Kazakhe? Et bien parce jadis, le Kazakhstan faisait partie de l’URSS et qu’il était l’un des sites adaptés au lancement d’engins spatiaux le plus au sud. De nos jours, la Russie loue l’endroit au Kazakhes. Baïkonour ville et la zone du cosmodrome sont donc des territoires Russes pour lesquels un visa et un permis sont nécessaires si l’on veut les visiter. À côté de Baïkonour, la ville kazakhe de Toretam, petit coin pauvre et poussiéreux, est elle accessible à tous et justement, c’était là que nous avions passé la nuit et là que nous allions entreprendre nos recherches d’un moyen de rentrer sur le cosmodrome. Théoriquement, j’aurais dû nommer l’article selon le nom de cette ville, mais Baïkonour est largement plus connue, même si nous n’y avons en fait jamais mis les pieds.
En pratique, si l’on veut assister de près à un décollage de fusée, il faut débuter les arrangements plusieurs mois à l’avance avec des compagnies de tourismes désignées par l’agence spatiale Russe et débourser d’importantes sommes. Nous n’étions prêt à faire ni l’un ni l’autre, alors notre plan était de trouver un moyen détourné d’y parvenir. Tel que discuté avec Aurélien alors que nous étions à Almaty, on ne pouvait quand même pas se trouver au Kazakhstan et ne pas tenter notre chance. Au pire, nous allions observer le décollage de l’extérieur et comme l’expérience de la veille nous l’avait montré, le spectacle allait quand même en valoir la peine.
Par où commencer la recherche d’une manière de pénétrer dans l’un des endroits les plus sécurisés de la planète (il s’y est fait des tests nucléaires dans le passé…)? Simplement en se présentant à l’entrée. Évidemment, le garde Russe avait beau être sympathique, il nous a rapidement fait comprendre que nous avions besoin d’un permis spécial et d’un visa et qu’il était pas du type très flexible. À l’entrée de Baïkonour ville, il nous fallait seulement un visa. Lorsque nous avons demandé au garde comment obtenir un permis, il nous a simplement pointé un véhicule appartenant à une agence de tourisme. Bon, ce n’était pas gagné d’avance, mais ça valait de coup. Par la suite, nous avons tenté de trouver le poste de police de Toretam pour voir si les forces locales n’étaient pas capables de nous “arranger” quelque chose. Malheureusement, pas de poste de police en vue, alors nous nous sommes rabattus vers la gare afin de voir s’il ne s’y trouvait pas un comptoir d’une agence de tourisme locale. Évidemment non, elles devaient de trouver dans Baïkonour.
C’est là que nous avons joué notre dernière carte: les chauffeurs de taxi. Partout dans le monde, les chauffeurs de taxi sont les vecteurs du vice par excellence et moyennant compensation, n’auront aucun scrupule à vous trouver drogues, prostituées et qui sait, un moyen de rentrer dans le cosmodrome d’à côté. Alors que nous discutions avec l’un d’entre eux, Audrey qui nous observait au loin a intercepté deux touristes polonais qui se trouvaient dans la même situation que nous. Une fois de retour auprès d’elle, nous avons rattrapé ces deux touristes pour les questionner davantage sur l’avancement de leur recherches. Il s’adonne qu’ils étaient cinq, qu’ils parlaient Russe et qu’ils avaient trouvé un chauffeur de taxi avec un bon plan. Excellent!
Après m’avoir donné leur numéro de téléphone, ils nous ont promis de nous tenir informé lorsqu’il recevraient des nouvelles. Je suis tout de suite parti me chercher une carte SIM afin de pouvoir communiquer avec eux et tous les trois excités, nous sommes tout de même partis visiter le point d’observation que nous avions repérés hors de la ville, car c’était notre plan B et aussi là que nous avions donnés rendez-vous à Sven qui arrivait à moto. Nous étions tout juste arrivés là que j’ai reçu un message des Polonais nous demandant de revenir en ville pour discuter de l’affaire. De retour à leur côté, ils nous ont informé que pour 40000 Tengues (60$ par personne), nous allions pouvoir observer le lancement à 1,2 kilomètres de distance. Génial! En plus, nous n’allions payer qu’après l’événement, il fallait seulement montrer que nous avions les fonds avant le départ. Nous avons tout de suite accepté et nous sommes donnés rendez-vous à 2h du matin devant leur hôtel. Il n’y avait malheureusement pas de place pour Sven, car nous étions déjà 8 et avec deux chauffeurs il ne restait plus de place dans les voitures. Dommage…
Nous avons donc repris le chemin de notre point d’observation et nous sommes cuisinés un bon mijoté avec des provisions achetées au marché de Toretam. Un peu plus tard, j’ai reçu un appel m’indiquant que l’heure du rendez-vous avait changé à 1h. Vers les minuit, Sven n’était toujours pas arrivé en raison de conditions routières difficiles, alors je lui ai écrit pour lui indiquer que nous quittions, mais que le point de rendez-vous que nous lui avions donné était un bon endroit pour poser sa tente et observer le spectacle. Une fois les polonais rejointsà leur hôtel, nous avons été ramassés par deux taxis puis transportés non loin de là où une fourgonnette UAZ nous attendait. Le stress et l’anticipation étaient à leur comble, me rappelant ces moments d’attente avant une attaque dans l’armée.
C’est à partir de ce moment que le plan a commencé à partir en vrille. Il y avait eu confusion, la somme demandée n’était pas 40000 tengues, mais 40000 roubles, soit cinq fois plus. Évidemment, s’il fallait payer les gardes Russes à l’entrée du cosmodrome, ce n’était pas avec de la monnaie kazakhe qu’il fallait le faire. Comme personne n’était prêt à débourser ce montant, nous sommes tous descendus du véhicule et avons entamé des négociations avec les chauffeurs. Je dis nous, mais en réalité c’était les Polonais qui s’occupaient de tout, car nous ne parlions aucun Russe. Finalement, les chauffeurs étaient prêt à nous approcher à 3km pour la somme convenue. Très raisonnable. Nous sommes donc embarqués dans deux autres voitures et nous sommes mis en route. Déjà, je commençais à flairer quelque chose de louche, car nous étions à 1h15 du décollage et personne ne semblait pressé. D’autant plus que nous semblions nous diriger vers notre point d’observation, l’endroit où nous avions mangé et donné rendez-vous à Sven.
Effectivement, c’était là que les chauffeurs nous emmenaient. Voyant que Sven avec sa copine en train d’installer sa tente, j’ai fait arrêter le chauffeur quelques secondes pour le saluer puis nous avons continué notre route sur un chemin de steppe. La Golf s’en serait très bien tirée, mais nos voitures n’étaient nullement adaptées alors ça râpait à tout bout de champ. Pendant ce temps là, les minutes avaient passé et nous n’étions qu’à une demi-heure du décollage. À moins que l’on rejoigne une route goudronnée, il était impossible que l’on couvre les 20 kilomètres qui nous séparaient des 3 kilomètres convenus de la plateforme de lancement à temps.
En passant près d’une ligne électrique, les chauffeurs se sont arrêtés, signalant qu’il y avait “de la construction” et qu’ils ne pouvaient aller plus loin. Aussitôt, nous avons informés les Polonais avec cartes à l’appui que nous étions encore à plus de 20 kilomètres du site et eux se sont promptement retournés vers les chauffeurs kazakhes. Nous étions tous très en colère, mais curieusement, les deux chauffeurs ne semblaient pas en faire de cas, d’autant plus qu’ils étaient en infériorité numérique. Sans vraiment comprendre en quoi consistait leurs réponse, nous sentions que leur attitude laissait présager qu’ils allaient braver la tempête et se faire la malle avec notre argent. Argent qui leur avait été donné par un polonais (sous pression) quand il avait été convenu qu’aucune somme ne serait déboursée avant le lancement. D’ailleurs, lorsqu’il étaient sommés de nous rendre nos tengues, il répondaient simplement qu’ils ne les avaient pas sur eux. Ça commençait à chauffer. De nul part, Aurélien s’approche de moi et me dit tout bas qu’il a réussi à piquer les clés d’une voiture. Je le félicite et relaye l’information à une Polonaise du groupe qui aussitôt sourit de satisfaction. L’avantage était maintenant de notre côté.
Vu que le moment du décollage approchait, il s’est installé une trêve dans les hostilités. Tout d’un coup, un pan entier du ciel s’illumine et peu après, la fusée s’élève de l’horizon, suivie d’une énorme traînée ardente. Quand-même spectaculaire pour 20 kilomètres de distance. Et dire qu’il y a trois astronautes dans l’engin. Peu après ce moment, le son nous rejoint et rempli la steppe d’un grondement fort et beaucoup plus distinct que celui entendu la veille. Une minute après le décollage, les quatre boosters se détachent et un court laps de temps plus tard, c’est le premier étage qui est largué pour aller brûler dans l’atmosphère, formant dans l’opération un immense halo de fumée autour de la fusée. Encore une fois, spectaculaire. Bien malheureusement, la situation dans laquelle nous nous trouvions nous a pourri quelque peu l’expérience. Disons qu’avoir su, nous aurions largement préféré assister au spectacle depuis notre camp avec Sven. Tout ce tracas ne valait certainement pas le petit kilomètre parcouru.
Le vent a tourné lorsqu’un des deux chauffeurs est rentré dans sa voiture pour la préparer en vue du retour en ville. Remarquant qu’il n’avait pas ses clés, il a informé son congénère et de suite tous deux ont commencé à se montrer plus ouverts à la négociation. Il faut dire que le ton commençait vraiment à s’élever. Pendant ce temps, Aurélien m’informait qu’il venait de démonter l’antenne de CB d’une des deux voitures et la balancer dans la steppe histoire de les faire regretter de nous avoir prit pour des cons. Finalement, la quasi totalité de la somme nous a été restituée, il ne manquait que 10000 tengues aux Polonais. Il allait falloir continuer la négociation au village, alors nous sommes rembarqués dans les véhicules. Avoir su, nous serions venus avec nos propres moyens, car il nous fallait ensuite revenir au même endroit pour camper non loin de Sven.
Arrivé en ville, un troisième Kazakhe qui nous attendait afin de reprendre possession de sa voiture se rend compte que l’antenne manque. Il empoigne aussitôt par la caméra que j’avais au cou et commence à me crier après. Merde! J’attrape sa main et l’éloigne de manière à me dégager et me met à lui dire bien fort (en français) que je ne sais pas où se trouve son antenne. En fait oui je sais, mais bon… Le reste des polonais arrive alors et le même homme tente d’en attraper un par le cou pour finalement se faire plaquer de force contre son véhicule par le plus gros d’entre eux. L’un des chauffeurs ouvre alors le coffre d’une voiture pour se saisir d’une matraque, mais est retenu par un autre Kazakhe qui le retient. In extremis, la situation se calme et finalement tout le monde se remet à parler. Un polonais qui avait photographié la voiture montre au propriétaire du véhicule que son antenne était bien là au début et que vu la taille qu’elle avait, elle ne pouvait pas se trouver sur personne; logiquement elle avait dû tomber en route. Évidemment, c’était une théorie hautement improbable vu la manière dont ces antennes sont fixées, mais nous n’allions pas tout de même leur dire qu’Aurélien l’avait démontée puis jetée. Aurélien qui d’ailleurs commençait à regretter son geste: “Quand je commence à piquer des trucs, je ne suis plus capable de m’arrêter…” Effectivement, le vol des clés avait été un bon coup, celui de l’antenne, un peu moins. Rendu-là, il allait devenir difficile pour les Polonais de récupérer le 10000 manquant. Tout le monde était fatigué et après un bon 20 minutes de discussion supplémentaires, il semblait s’être convenu que les chauffeurs allaient garder le 10000. L’entente conclues, le propriétaire est venu serrer la main et s’excuser envers tous les gens présents puis a sauté dans son véhicule pour refaire le chemin inverse et retrouver son antenne. J’ai tenté d’offrir plusieurs fois un 5000 aux Polonais pour séparer les pertes, mais rien n’y faisait, il se sentaient coupables de nous avoir entraînés dans cette histoire.
De retour dans la Golf, nous nous sommes dirigés vers notre lieu de campement original, sauf que de peut de tomber sur les Kazakhes, nous nous sommes installés de l’autre côté de la route. Peu après avoir déployé la tente, un véhicule est sorti du même endroit où nous avions prit la route de steppe. Ce devait être eux et selon Aurélien, il avaient probablement retrouvé leur antenne car il ne l’avait vraiment pas lancé très loin. À 5h30 du matin, il était plus que temps que nous nous couchions, mais nous avons quand même dégusté une bière histoire de faire tomber la tension et refaire un peu le point sur une soirée désastreuse.
Certains diront que nous méritions la leçon pour avoir tenté d’enfreindre les règles. Je ne partage pas cette vision. En ce qui me concerne, nous avons pris un risque et nous avons échoués dans notre tentative. Si c’était à refaire, je le referais mille fois. Quand-même, on parle d’aller voir décoller une fusée Soyouz, alors l’expérience valait que l’on déploie tous les efforts possibles, légaux ou illégaux. Ce que nous nous apprêtions à faire n’avait à nos yeux rien d’immoral et ne mettait personne en danger. Nous allions simplement contrevenir à des règles mises en place par une manière de penser datant de la guerre froide. À Cape Canaveral en Floride ou à Kourou en Guyane, la NASA ou l’ESA ne chargent rien pour aller voir un lancement. Les Russes devraient en faire tout autant, surtout pour les lancements à destination de la Station Spatiale Internationale, un projet auquel l’humanité entière a contribué de près ou de loin.