Somme toute, la nuit passée dehors par un huit degrés pluvieux s’est avérée plutôt confortable, car notre hôte avait pris soin de nous fournir pas moins de 4 grosses couvertures. Au réveil, tout le monde était évidemment un peu amoché, mais cela ne nous a pas empêché de nous faire un bon petit déjeuner (et de remplacer le pneu de la Golf dont la réparation avec encore lâché). Vers midi, Sven et sa copine croisent notre campement par pur hasard et s’arrêtent pour un café. Bref, on l’a pris vraiment relax et ce n’est que vers les deux heures que finalement les au revoir se sont distribués et que nos chemins se sont séparés : eux vers le Wakhan, nous vers Douchanbé. Audrey et moi aurions adoré partager davantage de moment avec ce groupe extraordinaire, mais malheureusement, ils voyageaient en sens contraire.
Après un court passage à Khorog pour nous ravitailler et tenter à nouveau (sans succès) de retirer de l’argent. Vu l’heure tardive et la tombée du jour qui s’approchait, nous n’allions décidément pas nous rendre très loin. Qu’importe, il nous fallait prendre de l’avance le plus possible, car la route Dushanbe – Khorog allait bien nous prendre quelques jours. Un peu après la ville, apercevant un camion aux couleurs de l’EDF (Électricité de France) ainsi qu’un cycliste en processus d’installation de campement, nous avons décidé de les joindre pour la nuit.
Les roads-trips en Asie-Centrale semblent avoir cette particularité de n’intéresser que les personnalités formidables. Non pas qu’ils attirent certains types particuliers, mais toutes les personnes rencontrées auront au moins de l’audace, de l’ouverture d’esprit, le goût de l’aventure et une richesse personnelle hors du commun. À l’image de la soirée précédente donc, nous avons partagé un autre excellent moment en compagnie de Sara, une Danoise sur son vélo depuis deux ans et Dorian, Olivier et Hippolyte, trois Français revenant du Yakutsk (l’extrême-est de la Russie) (en fait, Hippolyte revenait de Chine avec son vélo et s’est joint à eux au Kazakhstan).
Au lever, le vent s’était calmé et nous avons pu démonter le campement et prendre le café tranquilles en compagnie d’un troupeau de chèvres et de moutons non loin. La veille, nous avions passé le point de départ d’une randonnée intéressante à l’intérieur de la gorge de Darshaï. Ne disposant pas d’assez de temps, on l’avait remis au lendemain. Apparemment, elle passait par un endroit si escarpé que le sentier de pierre avait été « cousu » à la paroi (appelé owring). Par la suite, le sentier atteignait une vallée avec un camp de yourtes habité par les bergers l’été et les chasseurs en hiver. Nous nous étions donnés comme objectif ce segment particulier, que nous avons atteint assez rapidement malgré un départ difficile, car le sentier n’était pas balisé. Avec un dénivelé d’un bon 800m, l’aller et le retour on été plutôt sportifs et acrobates, car certaines portions avaient été emportées par des éboulis. Le spectacle alentour en valait vraiment la peine par contre.
Redescendus à la voiture vers 15h30, il nous restait plusieurs heures avant d’arriver à Khorog et de toute évidence, cela allait se faire de nuit. Qu’importe, nous connaissions déjà la route. Un peu avant que la dernière lumière disparaisse, on croise un convoi de 4×4 français arrêtés en bord de route. Je décide de stopper la Golf pour leur souhaiter le bonjour et leur demander quel bon vent les amène par de telles contrées. Ils sont trois véhicules, et se rendent en Chine en passant par le Pamir pour faire parti d’un convoi de 10 véhicules qui traversera ce pays. Étonnés, Audrey et moi leur confient que nous avons rencontrés deux autres véhicules du même convoi. L’un avant-hier à Ishkashim et l’autre à Aralsk au Kazakhstan. Eux-aussi contents de rencontrer des compatriotes (du moins pour la Golf), ils nous invitent à passer la soirée avec eux, ce que nous acceptons aussitôt. Tant pis pour la douche à Khorog.
Au moment où nous les avons croisés, il venaient de se faire jeter dehors d’un campement par les militaires et en avaient identifié un autre non loin. Arrivés-là, même histoire, d’autres militaires nous interceptent et nous informent qu’ils ont reçus l’ordre formel de ne pas laisser de touristes camper le long de la frontière afghane, car l’année dernière, il y aurait eu des tirs en direction du côté tadjike. Ce sans oublier que de par et d’autre, la frontière est encore minée. Par chance, Hugo, l’un des Français du convoi, avais apprit le Farsi lors de plusieurs missions humanitaires en Afghanistan et pouvait communiquer en Tadjike, langue très proche.
À l’aide d’une carte, les militaires nous dirigent vers un autre endroit à l’intérieur de la montagne où nous serons en sécurité. Arrivés sur place par contre, l’un des 4×4 est incapable de monter la côte pour s’y rendre en raison d’un blocage de différentiel défectueux (la Golf aurait passé, j’en suis certain). À la blague peut-être, un militaire avait lancé la possibilité que nous campions sur la base. Sans autres alternatives, nous nous rendons-là voir si vraiment on nous offrirait le gîte. Sans trop de surprise, le commandant du détachement refuse que nous entrions sur le site et nous renvoie à Khorog dans un hotel. À ce moment passe un Tadjike conduisant un vieux camion Kamaz. Il s’arrête et nous propose de le suivre jusque chez lui à deux cents mètres de là. Une fois le camion redémarré (à la manivelle), j’embarque avec lui et l’on se dirige vers l’endroit qu’il nous propose.
Un petit lopin de boue à l’intersection entre deux routes, on aura vu mieux, mais compte-tenu de l’heure, ça fera. Pendant que les autres installent leurs 4×4 pour la nuit, Audrey et moi négocions un espace pour poser notre tente sur le terrain de notre hôte bien que celui-ci tient à tout prix à ce que nous dormions dans sa maison. Les Tadjikes (et certainement les autres peuples de l’Asie Centrale) sont complètement étrangers au concept du camping et sont systématiquement frappés de stupeur lorsqu’on leur confie que nous prenons plaisir à dormir dehors. À force de négociations, tous les partis sont arrivés à un compromis : on va nous installer un lit sur la terrasse couverte.
Il pleuvait, mais la bâche a été vite dressée au-dessus de la table à dîner et jusqu’au petites heures, nous avons festoyé à la bière, au vin, au whisky et à la vodka, car c’était l’anniversaire d’un des Français du convoi. Notre hôte s’est bien entendu mérité autant de verres qu’il le désirait et ne nous a quitté que lorsque sa mère est venu le chercher (il avait 30 ans [en faisait 40] et vivait avec sa sœur et sa mère). Aussi de la fête, un vieux Tadjike édenté et déjà bien imbibé lorsqu’il s’était joint à nous; visiblement l’ivrogne du village. Chacun avait d’étonnantes histoires à conter et tous étaient partis de France pour un périple de longue haleine, un couple vers le Japon, deux amis vers Singapour et le dernier couple en Asie du Sud-Est. Tous avec d’énormes 4×4, outillés jusqu’au compresseur intégré, avec tentes de toit, cuisinettes, douches et bien plus; ils avaient tout de même beaucoup de respect pour nous, qui jusqu’à maintenant avions accomplis le même périple qu’eux et même fait le Pamir (ils s’y dirigeaient) avec une Golf et du petit équipement de camping amateur.
Route : affreuse mais praticable, parfois passable
La vallée du Wakhan, en plus de ses beaux coups d’oeil, possède quelques attractions valant le détour. Nous désirions en visiter quelques-unes ce jour là. Premier arrêt, la forteresse Khaakha, agée de plus de deux millénaires. En vertu de sa position sur un promontoire donnant une bonne vue de la vallée, l’armée tadjike y avait installé un poste d’observation. On peut donc dire que la forteresse, même après tous ces siècles, occupe encore un rôle militaire. D’ailleurs, l’emplacement stratégique de la vallée du Wakhan a fait d’elle une frontière pour plus d’un empire et pays. C’est pourquoi elle est encore très surveillée et fréquemment, l’on croise bases militaires et patrouilles tadjikes.
À nouveau en route vers le creux de la vallée, il nous a fallu un bon moment de routes dégueulasses avant d’atteindre l’embranchement vers notre deuxième attraction, une autre forteresse (le fort de Yamchoun) et non loin les sources sacrées de Bibi-Fatima. Cependant, il nous fallait encore monter un bon huit kilomètres de pistes avant de les atteindre. Hésitant plusieurs fois à poursuivre en raison de la difficulté du chemin, la Golf s’est toutefois montrées très capable de se rendre jusqu’en haut et ce malgré le fait que la piste était conçue pour des 4×4. Après avoir profité d’un dîner tardif, nous sommes dirigés vers le fort. Bien plus élevée que la précédente forteresse, il offrait une vue des plus impressionnantes sur la vallée en contre-bas et les montagnes afghanes. En fait, la dernière fois qu’il m’avait été donné de profiter de paysages aussi splendides, c’était en visitant d’autres fortifications, celles de Kotor au Monténégro.
Les sources ne furent pas aussi agréable, du moins en ce qui concernait le côté masculin qui puait l’homme à l’hygiène déficiente et où à la surface de l’eau l’on pouvait apercevoir un léger film de souillures. Au moins, mes compagnons de bains étaient sympathiques et curieux envers ma présence dans un coin si reculé de leur pays. Audrey, de son côté, semblait avoir davantage apprécié l’expérience. Et dire que c’était moi qui lui avait vendu la chose…
Il était relativement tard lorsque nous sommes sortis des sources et il restait tout juste assez de lumière pour rouler un peu et nous trouver un coin où poser notre tente. La chose n’a pas été une mince affaire, mais finalement un endroit propice en surplomb de la route et à l’abri des regards s’est présenté in extremis. La météo en montagne étant ce qu’elle est (imprévisible et changeante), nous avions tout terminé de cuisiner le repas qu’un solide vent s’est levé et nous a obligé à passer le reste de soirée à l’intérieur de la Golf.
Route : affreuse mais praticable, s’améliore 15 kilomètres avant Ishkashim
La vallée du Wakhan, frontière sud du Tadjikistan avec l’Afghanistan, est possiblement l’endroit le plus reculé du Tadjikistan. Bien qu’il nous ait été possible de l’atteindre plus tôt sur la route du Pamir par un embranchement plus en amont, nous avions décidé de rebrousser le chemin en raison de l’état de la chaussée. Notre plan B pour nous y rendre était donc de passer par Khorog puis d’y descendre. Après un ravitaillement en essence et plusieurs tentatives infructueuses de retirer des espèces (nous avions prévus amplement de liquide US pour ce genre de situation), nous nous sommes engagés sur la route vers Ishkashim, ville d’entrée de cette région. Rapidement, la route s’est orientée dans une autre vallée avec de l’autre côté : l’Afghanistan…parfois littéralement à un jet de pierre.
Pourquoi tant d’obsession avec l’Afghanistan? Pour la place qu’il occupe dans la psyché occidentale comme pays où tant de nos troupes y ont fait la guerre à un ennemi des plus nébuleux: les Talibans. Bien qu’aujourd’hui nos soldats se soient retirés de ce damné conflit, le pays n’est toujours pas pacifié. Comme ex-militaire, j’en sais quelque chose… C’est tout de même une triste réputation, mais en arrière-plan de cette sinistre situation, nous savions aussi qu’il existait un peuple chaleureux, résilient et authentique. Notre incursions dans la vallée du Wakhan allait donc nous donner un aperçu de ce fascinant pays. Ou du moins de la population qui habite cette région, car l’Afghanistan est une mosaïque de cultures et celle qui réside non loin du Tadjikistan est d’origine … tadjike; elle n’a en fait jamais été en guerre à proprement dit, car le conflit concernait surtout les pachtounes du sud. Fait curieux fait, et c’est Audrey qui faisait la remarque, c’était la première fois pour chacun que nous allions voir autant d’un pays sans y mettre les pieds.
Bref, la route jusqu’à peu avant notre destination était un mélange de gravier entrecoupé de reste d’asphalte, mais comme partout dans le Pamir, l’attrait du paysage compensait. Nous y avons bien certainement ramassés quelques auto-stoppeurs, dont une grand-mère hautement sympathique qui nous a fait don d’un excellent pain pour la peine. Arrivés à Ishkashim, il se faisait plutôt tard donc nous avons opté pour l’option guesthouse. Là, nous y avons retrouvés les deux autre voyageurs croisés dans un bar la veille, mais aussi une Suisse et une Anglaise sur un tour du monde de deux ans en Hyundai Santa-Fé. En les questionnant sur leur voyage elle nous confié devoir être a la frontière chinoise dans quelques semaines pour y rejoindre un convoi d’européens avec lequel elles allaient traverser le pays (il faut absolument être accompagné d’un guide pour conduire en Chine…) Le même convoi vers lequel se dirigeaient un couple d’Anglais croisés à Aralsk lorsque nous y étions coincés pour des réparations sur la Golf.
Le lendemain, nous comptions aller faire un petit tour en Afghanistan, car il paraissait que les gardes frontières laissaient les étrangers passer s’ils fournissaient leur passeport comme caution. Cela se faisait surtout les samedis, jour de marché dans la ville afghane de l’autre côté. Malheureusement, un guide tadjike nous a confirmé que cela n’était plus permis depuis deux ans. L’excursion était toujours possible, mais il nous fallait un visa afghan et un visa tadjike à double entrée, deux choses que nous ne possédions pas. Dommage, vu que le Wakhan afghan est une partie très sécuritaire du pays (car ethniquement différente des Afghans du sud) nous aurions adorés aller y faire une petite visite, car l’opportunité n’allait pas se représenter de sitôt.
Lors notre approvisionnement, nous avions achetés un large surplus de pommes que nous comptions distribuer aux gens que nous croisions. Une bande de bergers menant un large troupeau se sont donc mérités plusieurs fruits, ce qui a dû les rendre plutôt heureux, car lorsque je les ai approchés, ils dînaient au pain rassis. Cela ne les a pas empêcher de nous en un donner un en échange pour notre générosité. Bien que le blé ne pousse pas partout en Asie-Centrale, l’art du pain y est bien installé et ce dernier est généralement très bon. De forme ronde et plate, nous pensons qu’il est cuit dans des sortes de fours tandoori.
La nuit que nous venions de passer – assez fraîche à en juger par les croûtes de glace sur le torrent voisin ainsi qu’au réveil sur le sac-de-couchage d’Audrey – était la dernière au-dessus de 3000 mètres. À partir de maintenant, nous n’allions que redescendre. Petit à petit donc, le paysage s’est changé de pâturages de haute montagne en celui d’une vallée escarpée mais verdoyante et peuplée de charmants petits villages. Vu que la route était de bonne qualité, nous avons filé jusqu’à Khorog, capitale du Pamir. Désireux de contribuer à l’effort de transport local, nous en avons profité pour ramasser nombres d’auto-stoppeurs, qui à chaque reprise ne manquent pas d’être curieux et généreux de leur remerciements une fois le trajet complété. Parmi les différents peuples qu’il nous a été donné de côtoyer jusqu’à maintenant, les Tadjikes, du moins ceux habitant le Pamir, sont de loin les plus sympathiques. Tous nous envoient la main lorsque nous passons et les enfants ne ratent pas l’occasion de nous lâcher des « Hello! » à tout va.
Arrivés à notre hostel à Khorog, nous y avons fait du lavage puis sommes partis pour une marche en ville. Un peu de civilisation et propreté ne faisait vraiment pas de mal. En prenant une bière sur une terrasse, deux autres étrangers interrogés sur leur plans du lendemain nous ont informés qu’ils partaient dans la vallée du Wakhan, frontière avec l’Afghanistan. Les interrogeant sur la qualité de la route depuis Khorog, ils ont renvoyé la question à leur guide tadjike qui nous a confirmé qu’elle n’était pas si mal. C’était donc dans cette direction que nous allions poursuivre notre exploration de la région. Après un bon repas dans un restaurant à l’ambiance chauffée par les locaux (on s’est même fait une petite dance sur Despacito), nous sommes rentrés nous coucher.