Baïkonour est le plus important cosmodrome Russe et le seul endroit d’où partent maintenant les vols habités vers la Station Spatiale Internationale depuis la fin du programme de la navette spatiale américaine. Pourquoi donc Baïkonour se trouve en territoire Kazakhe? Et bien parce jadis, le Kazakhstan faisait partie de l’URSS et qu’il était l’un des sites adaptés au lancement d’engins spatiaux le plus au sud. De nos jours, la Russie loue l’endroit au Kazakhes. Baïkonour ville et la zone du cosmodrome sont donc des territoires Russes pour lesquels un visa et un permis sont nécessaires si l’on veut les visiter. À côté de Baïkonour, la ville kazakhe de Toretam, petit coin pauvre et poussiéreux, est elle accessible à tous et justement, c’était là que nous avions passé la nuit et là que nous allions entreprendre nos recherches d’un moyen de rentrer sur le cosmodrome. Théoriquement, j’aurais dû nommer l’article selon le nom de cette ville, mais Baïkonour est largement plus connue, même si nous n’y avons en fait jamais mis les pieds.
En pratique, si l’on veut assister de près à un décollage de fusée, il faut débuter les arrangements plusieurs mois à l’avance avec des compagnies de tourismes désignées par l’agence spatiale Russe et débourser d’importantes sommes. Nous n’étions prêt à faire ni l’un ni l’autre, alors notre plan était de trouver un moyen détourné d’y parvenir. Tel que discuté avec Aurélien alors que nous étions à Almaty, on ne pouvait quand même pas se trouver au Kazakhstan et ne pas tenter notre chance. Au pire, nous allions observer le décollage de l’extérieur et comme l’expérience de la veille nous l’avait montré, le spectacle allait quand même en valoir la peine.
Par où commencer la recherche d’une manière de pénétrer dans l’un des endroits les plus sécurisés de la planète (il s’y est fait des tests nucléaires dans le passé…)? Simplement en se présentant à l’entrée. Évidemment, le garde Russe avait beau être sympathique, il nous a rapidement fait comprendre que nous avions besoin d’un permis spécial et d’un visa et qu’il était pas du type très flexible. À l’entrée de Baïkonour ville, il nous fallait seulement un visa. Lorsque nous avons demandé au garde comment obtenir un permis, il nous a simplement pointé un véhicule appartenant à une agence de tourisme. Bon, ce n’était pas gagné d’avance, mais ça valait de coup. Par la suite, nous avons tenté de trouver le poste de police de Toretam pour voir si les forces locales n’étaient pas capables de nous “arranger” quelque chose. Malheureusement, pas de poste de police en vue, alors nous nous sommes rabattus vers la gare afin de voir s’il ne s’y trouvait pas un comptoir d’une agence de tourisme locale. Évidemment non, elles devaient de trouver dans Baïkonour.
C’est là que nous avons joué notre dernière carte: les chauffeurs de taxi. Partout dans le monde, les chauffeurs de taxi sont les vecteurs du vice par excellence et moyennant compensation, n’auront aucun scrupule à vous trouver drogues, prostituées et qui sait, un moyen de rentrer dans le cosmodrome d’à côté. Alors que nous discutions avec l’un d’entre eux, Audrey qui nous observait au loin a intercepté deux touristes polonais qui se trouvaient dans la même situation que nous. Une fois de retour auprès d’elle, nous avons rattrapé ces deux touristes pour les questionner davantage sur l’avancement de leur recherches. Il s’adonne qu’ils étaient cinq, qu’ils parlaient Russe et qu’ils avaient trouvé un chauffeur de taxi avec un bon plan. Excellent!
Après m’avoir donné leur numéro de téléphone, ils nous ont promis de nous tenir informé lorsqu’il recevraient des nouvelles. Je suis tout de suite parti me chercher une carte SIM afin de pouvoir communiquer avec eux et tous les trois excités, nous sommes tout de même partis visiter le point d’observation que nous avions repérés hors de la ville, car c’était notre plan B et aussi là que nous avions donnés rendez-vous à Sven qui arrivait à moto. Nous étions tout juste arrivés là que j’ai reçu un message des Polonais nous demandant de revenir en ville pour discuter de l’affaire. De retour à leur côté, ils nous ont informé que pour 40000 Tengues (60$ par personne), nous allions pouvoir observer le lancement à 1,2 kilomètres de distance. Génial! En plus, nous n’allions payer qu’après l’événement, il fallait seulement montrer que nous avions les fonds avant le départ. Nous avons tout de suite accepté et nous sommes donnés rendez-vous à 2h du matin devant leur hôtel. Il n’y avait malheureusement pas de place pour Sven, car nous étions déjà 8 et avec deux chauffeurs il ne restait plus de place dans les voitures. Dommage…
Nous avons donc repris le chemin de notre point d’observation et nous sommes cuisinés un bon mijoté avec des provisions achetées au marché de Toretam. Un peu plus tard, j’ai reçu un appel m’indiquant que l’heure du rendez-vous avait changé à 1h. Vers les minuit, Sven n’était toujours pas arrivé en raison de conditions routières difficiles, alors je lui ai écrit pour lui indiquer que nous quittions, mais que le point de rendez-vous que nous lui avions donné était un bon endroit pour poser sa tente et observer le spectacle. Une fois les polonais rejointsà leur hôtel, nous avons été ramassés par deux taxis puis transportés non loin de là où une fourgonnette UAZ nous attendait. Le stress et l’anticipation étaient à leur comble, me rappelant ces moments d’attente avant une attaque dans l’armée.
C’est à partir de ce moment que le plan a commencé à partir en vrille. Il y avait eu confusion, la somme demandée n’était pas 40000 tengues, mais 40000 roubles, soit cinq fois plus. Évidemment, s’il fallait payer les gardes Russes à l’entrée du cosmodrome, ce n’était pas avec de la monnaie kazakhe qu’il fallait le faire. Comme personne n’était prêt à débourser ce montant, nous sommes tous descendus du véhicule et avons entamé des négociations avec les chauffeurs. Je dis nous, mais en réalité c’était les Polonais qui s’occupaient de tout, car nous ne parlions aucun Russe. Finalement, les chauffeurs étaient prêt à nous approcher à 3km pour la somme convenue. Très raisonnable. Nous sommes donc embarqués dans deux autres voitures et nous sommes mis en route. Déjà, je commençais à flairer quelque chose de louche, car nous étions à 1h15 du décollage et personne ne semblait pressé. D’autant plus que nous semblions nous diriger vers notre point d’observation, l’endroit où nous avions mangé et donné rendez-vous à Sven.
Effectivement, c’était là que les chauffeurs nous emmenaient. Voyant que Sven avec sa copine en train d’installer sa tente, j’ai fait arrêter le chauffeur quelques secondes pour le saluer puis nous avons continué notre route sur un chemin de steppe. La Golf s’en serait très bien tirée, mais nos voitures n’étaient nullement adaptées alors ça râpait à tout bout de champ. Pendant ce temps là, les minutes avaient passé et nous n’étions qu’à une demi-heure du décollage. À moins que l’on rejoigne une route goudronnée, il était impossible que l’on couvre les 20 kilomètres qui nous séparaient des 3 kilomètres convenus de la plateforme de lancement à temps.
En passant près d’une ligne électrique, les chauffeurs se sont arrêtés, signalant qu’il y avait “de la construction” et qu’ils ne pouvaient aller plus loin. Aussitôt, nous avons informés les Polonais avec cartes à l’appui que nous étions encore à plus de 20 kilomètres du site et eux se sont promptement retournés vers les chauffeurs kazakhes. Nous étions tous très en colère, mais curieusement, les deux chauffeurs ne semblaient pas en faire de cas, d’autant plus qu’ils étaient en infériorité numérique. Sans vraiment comprendre en quoi consistait leurs réponse, nous sentions que leur attitude laissait présager qu’ils allaient braver la tempête et se faire la malle avec notre argent. Argent qui leur avait été donné par un polonais (sous pression) quand il avait été convenu qu’aucune somme ne serait déboursée avant le lancement. D’ailleurs, lorsqu’il étaient sommés de nous rendre nos tengues, il répondaient simplement qu’ils ne les avaient pas sur eux. Ça commençait à chauffer. De nul part, Aurélien s’approche de moi et me dit tout bas qu’il a réussi à piquer les clés d’une voiture. Je le félicite et relaye l’information à une Polonaise du groupe qui aussitôt sourit de satisfaction. L’avantage était maintenant de notre côté.
Vu que le moment du décollage approchait, il s’est installé une trêve dans les hostilités. Tout d’un coup, un pan entier du ciel s’illumine et peu après, la fusée s’élève de l’horizon, suivie d’une énorme traînée ardente. Quand-même spectaculaire pour 20 kilomètres de distance. Et dire qu’il y a trois astronautes dans l’engin. Peu après ce moment, le son nous rejoint et rempli la steppe d’un grondement fort et beaucoup plus distinct que celui entendu la veille. Une minute après le décollage, les quatre boosters se détachent et un court laps de temps plus tard, c’est le premier étage qui est largué pour aller brûler dans l’atmosphère, formant dans l’opération un immense halo de fumée autour de la fusée. Encore une fois, spectaculaire. Bien malheureusement, la situation dans laquelle nous nous trouvions nous a pourri quelque peu l’expérience. Disons qu’avoir su, nous aurions largement préféré assister au spectacle depuis notre camp avec Sven. Tout ce tracas ne valait certainement pas le petit kilomètre parcouru.
Le vent a tourné lorsqu’un des deux chauffeurs est rentré dans sa voiture pour la préparer en vue du retour en ville. Remarquant qu’il n’avait pas ses clés, il a informé son congénère et de suite tous deux ont commencé à se montrer plus ouverts à la négociation. Il faut dire que le ton commençait vraiment à s’élever. Pendant ce temps, Aurélien m’informait qu’il venait de démonter l’antenne de CB d’une des deux voitures et la balancer dans la steppe histoire de les faire regretter de nous avoir prit pour des cons. Finalement, la quasi totalité de la somme nous a été restituée, il ne manquait que 10000 tengues aux Polonais. Il allait falloir continuer la négociation au village, alors nous sommes rembarqués dans les véhicules. Avoir su, nous serions venus avec nos propres moyens, car il nous fallait ensuite revenir au même endroit pour camper non loin de Sven.
Arrivé en ville, un troisième Kazakhe qui nous attendait afin de reprendre possession de sa voiture se rend compte que l’antenne manque. Il empoigne aussitôt par la caméra que j’avais au cou et commence à me crier après. Merde! J’attrape sa main et l’éloigne de manière à me dégager et me met à lui dire bien fort (en français) que je ne sais pas où se trouve son antenne. En fait oui je sais, mais bon… Le reste des polonais arrive alors et le même homme tente d’en attraper un par le cou pour finalement se faire plaquer de force contre son véhicule par le plus gros d’entre eux. L’un des chauffeurs ouvre alors le coffre d’une voiture pour se saisir d’une matraque, mais est retenu par un autre Kazakhe qui le retient. In extremis, la situation se calme et finalement tout le monde se remet à parler. Un polonais qui avait photographié la voiture montre au propriétaire du véhicule que son antenne était bien là au début et que vu la taille qu’elle avait, elle ne pouvait pas se trouver sur personne; logiquement elle avait dû tomber en route. Évidemment, c’était une théorie hautement improbable vu la manière dont ces antennes sont fixées, mais nous n’allions pas tout de même leur dire qu’Aurélien l’avait démontée puis jetée. Aurélien qui d’ailleurs commençait à regretter son geste: “Quand je commence à piquer des trucs, je ne suis plus capable de m’arrêter…” Effectivement, le vol des clés avait été un bon coup, celui de l’antenne, un peu moins. Rendu-là, il allait devenir difficile pour les Polonais de récupérer le 10000 manquant. Tout le monde était fatigué et après un bon 20 minutes de discussion supplémentaires, il semblait s’être convenu que les chauffeurs allaient garder le 10000. L’entente conclues, le propriétaire est venu serrer la main et s’excuser envers tous les gens présents puis a sauté dans son véhicule pour refaire le chemin inverse et retrouver son antenne. J’ai tenté d’offrir plusieurs fois un 5000 aux Polonais pour séparer les pertes, mais rien n’y faisait, il se sentaient coupables de nous avoir entraînés dans cette histoire.
De retour dans la Golf, nous nous sommes dirigés vers notre lieu de campement original, sauf que de peut de tomber sur les Kazakhes, nous nous sommes installés de l’autre côté de la route. Peu après avoir déployé la tente, un véhicule est sorti du même endroit où nous avions prit la route de steppe. Ce devait être eux et selon Aurélien, il avaient probablement retrouvé leur antenne car il ne l’avait vraiment pas lancé très loin. À 5h30 du matin, il était plus que temps que nous nous couchions, mais nous avons quand même dégusté une bière histoire de faire tomber la tension et refaire un peu le point sur une soirée désastreuse.
Certains diront que nous méritions la leçon pour avoir tenté d’enfreindre les règles. Je ne partage pas cette vision. En ce qui me concerne, nous avons pris un risque et nous avons échoués dans notre tentative. Si c’était à refaire, je le referais mille fois. Quand-même, on parle d’aller voir décoller une fusée Soyouz, alors l’expérience valait que l’on déploie tous les efforts possibles, légaux ou illégaux. Ce que nous nous apprêtions à faire n’avait à nos yeux rien d’immoral et ne mettait personne en danger. Nous allions simplement contrevenir à des règles mises en place par une manière de penser datant de la guerre froide. À Cape Canaveral en Floride ou à Kourou en Guyane, la NASA ou l’ESA ne chargent rien pour aller voir un lancement. Les Russes devraient en faire tout autant, surtout pour les lancements à destination de la Station Spatiale Internationale, un projet auquel l’humanité entière a contribué de près ou de loin.